Luanda Pau : La déesse Oya de passage à Genève
J’ai rencontré pour la première fois Luanda Pau à Genève, le 20 novembre 2010, à l’occasion d’un stage de danses afro-cubaines, suivi le soir d’un spectacle. Dès le premier moment, je fus séduit par son charme et sa simplicité. Ensuite, en prenant des cours avec elle, je fus convaincu par sa connaissance de la danse et par ses qualités pédagogiques. Enfin, en assistant le soir à son spectacle, je fus ébloui par son talent de danseuse et par son sourire radieux.
Née dans une famille de danseurs folkloriques, de spectacle et de cabaret, Luanda a été pendant plusieurs années danseuse soliste du Conjunto Folclórico Nacional de Cuba. Elle a participé à différents spectacles présentés par la compagnie à Cuba et à l’étranger (notamment au Mexique, et au Royaume-Uni). Elle a également mené un travail de professeur indépendant en Italie, en Allemagne, en Suisse, en Autriche, à Monaco, en Roumanie etc. Elle a obtenu de nombreuses distinctions de haut niveau pour son travail de danseuse et de chorégraphe.
Installée en France depuis 8 ans, il vit à Nice ou elle dirige une école de danse afro-cubaine. Elle est également présidente d’une association culturelle nommée « Cuba, l’explosion de mon rythme ».
Luanda, je t’ai vu danser, chanter et jouer la rumba hier avec bonheur. Que signifie la rumba pour toi ?
La rumba est née dans les quartiers les plus populaires de la Havane et de Matanzas à Cuba. C’est pour moi quelque chose de très vivant. Quand je danse, je chante, je joue la rumba, c’est un peu comme si j’étais chez moi, dans mon quartier, aux côtés de mon père, de mes amis et de ma famille.
La rumba est quelque chose de très profond et important pour moi, que je tente d’exprimer lorsque je danse. Elle apporte un échange très fort, une complicité à l’intérieur du couple. Mais cet échange prend des formes différentes selon les formes de rumba. Dans le Yambù, la femme peut s’exprimer sans avoir peur du vacunao de l’homme et elle peut jouer avec le contretemps de la clave. Dans le guaguancó, elle doit davantage se méfier de l’intention de l’homme de la « vacuner ». C’est une compétition, un jeu qui m’enchante.
Tu as fait de nombreuses interprétations de la déesse Oya. Peux-tu nous parler de Oya et de ta relation à celle-ci ?
Quand j’ai étudié à l’ENA (Ecole nationale des arts), j’ai obtenu mon premier grand prix féminin de danses folkloriques avec cette Orisha. J’avais quinze ans…
Pour interpréter Oya, tu dois vraiment croire ce que tu fais. C’est un personnage qui a beaucoup de caractère et d’orgueil.
Peux-tu nous parler de ton père ?
Mon père !! Il a été ma première école. C’est lui qui m’a enseigné les premiers pas de danse. Il a guidé et orienté ma carrière jour après jour jusqu’à me permettre d’être tout ce que je suis et de faire ce que je fais aujourd’hui.
Je me suis inspirée de lui pour créer mon propre style. Mon père m’a enseigné la complexité de la danse folklorique, dans son intégralité.
Depuis que j’étais toute petite, il m’amenait au Conjunto Folklórico Nacional. Je dormais dans des matelas de gymnastique tandis que mon père, membre du Conjunto, dansait.
Ensuite, je suis devenue moi-même danseuse professionnelle, et j’ai intégré la compagnie du Conjunto Folklórico Nacional.
Le Conjunto fait partie de ma vie. Il a été présent pour moi à toutes les étapes de mon existence, depuis l’enfance et l’adolescence jusqu’à l’âge adulte.
Peux-tu parler de tes meilleurs souvenirs au Conjunto ?
Le premier, ce fut quand j’ai dansé pour la première fois sur une scène avec mon père. Ce fut une expérience extraordinaire.
Le deuxième, c’est quand j’ai intégré la troupe de la compagnie et que j’ai commencé à voyager, pour représenter notre culture à un niveau international.
Le troisième, ce fut quand on m’a permis de faire mon premier solo comme danseuse soliste dans l’œuvre Aikunwua du chorégraphe et premier danseur Alexander Varona.J’attendais beaucoup ce moment, et cela fut heureusement un grand succès.
Peux-tu parler de ton activité de chorégraphe et des prix que tu as reçus en ce domaine ?
Pour moi, la chorégraphie est le reflet de tous mes rêves. Quand je dors et que je vois une scène, cela me donne envie de la réaliser. Quand je mets en place une chorégraphie, c’est un peu comme si je me voyais moi-même en train de danser, mais en groupe, répliquée en plusieurs personnes.
Ma mère, Rosa Baquero, m’a également beaucoup aidé. Elle a eu une carrière de chorégraphe et de directeur artistique du cabaret Parisien du Grand Hôtel National de la Havane. Ses connaissances techniques et son talent me furent d’une grande aide dans ma carrière artistique, notamment dans le domaine du cabaret et du spectacle.
Comme tu peux le voir, j’ai été élevée dans une atmosphère artistique des deux côtés de ma famille. Et, de ce fait je me suis inspirée de mes deux parents. Dans mes chorégraphies, j’essaye de faire une fusion de leurs deux styles : folklore et spectacle.
J’ai réalisé différents spectacles en France, pour les casinos Barriere de Cannes et de Menton, ainsi que pour le Sporting club de Monaco, entre autres.
A Cuba, nous avons obtenu un grand prix pour la Comparsa la Giraldilla de la Havane. Mon père était le directeur artistique et moi la chorégraphe du défilé des modèles et des danseuses de spectacle.
Il y-t-il aujourd’hui beaucoup d’intérêt en France pour la culture Afro-cubaine ?
Cela commence à décoller peu à peu, même si cela a été un peu difficile au début. Cela fait maintenant huit ans que je vis en France. J’ai donné des interviews, beaucoup de gens sont venus me voir. Mais sur la Côte d’azur, ou je vis, je suis la seule danseuse disposant des connaissances de base pour enseigner de manière méthodique ces danses folkloriques. Cela rend ma tâche un peu plus difficile.
Beaucoup de gens s’intéressent notamment à la rumba. En même temps, j’essaye d’attirer le public, d’organiser des fêtes, des spectacles, d’intégrer les gens, de leur faire comprendre qu’à Cuba il n’y a pas que la salsa, que notre culture est plus large, plus riche. Ma mission est de tout mettre en œuvre pour que le public européen découvre la culture afro-cubaine.
Quelles ont été tes impressions de Genève ?
C’est la première fois que je suis venue à Genève. Les gens n’ont accueilli avec beaucoup de respect et d’admiration. Pendant les classes, les élèves s’intéressaient à tous les détails et m’ont posé beaucoup de questions.
Que cherches-tu à développer en priorité chez tes élèves ?
Je travaille beaucoup avec la pédagogie par objectifs. J’essaye de faire en sorte que mes élèves puissent parvenir à comprendre, pendant le peu de temps que dure la classe, d’où vient ce qu’ils apprennent. Cela ne m’intéresse pas qu’ils n’apprennent que les pas. Je cherche à les sensibiliser à une histoire, à une culture.
Chaque mouvement, chaque rythme, chaque chanson qui sont présent dans ces danses, ont une signification. Rien n’est là par hasard. Avec la danse de Elegba, par exemple, nous entrons dans la vie, dans l’histoire de cet Orisha qui a vécu selon la mythologie il y a des siècles, et que maintenant nous reconnaissons et nous adorons comme une Divinité majeure. Ochun est habillée de jaune parce qu’elle la déesse de l’or. Sa danse exprime la douceur de l’eau, car elle vit dans les rivières. Elle est aussi très sensuelle car c’est la déesse de l’amour. .
Est-ce que c’est important pour toi de développer la conscience corporelle et la coordination rythmique chez tes élèves ?
Oui, Cela ne m’intéresse pas que les gens apprennent trois pas assez faciles et qu’à la fin ils ne sachent pas pourquoi ils les font. Je veux que les élèves sachent d’où vient le mouvement, et comprennent la signification de la danse de l’Orisha qu’ils sont en train d’interpréter. J’insiste beaucoup sur le lien entre le mouvement, le chant et les battements de tambours, bata ou conga. Les élèves doivent savoir que la danse est un tout avec la musique. Et bien sûr, ils doivent développer leur conscience corporelle. Par exemple, le mouvement du torse est quelque chose de fondamental dans le style de la danse Yoruba.
Tu préfères enseigner la rumba, les danses des Orishas ou la salsa?
J’aime particulièrement enseigner la rumba. Je m’inspire de mon père qui la danse depuis très longtemps. J’aime la rumba et je vis à travers cette danse. J’essaye de transmettre cela aux gens pour qu’ils se divertissent tout en apprenant.
J’aime aussi enseigner les danses afro-cubaines. Ce répertoire d’origine africaine ouvre sur une culture, une histoire très riches et qui méritent d’être transmises.
Quelles sont les grandes qualités de Yemaya ?
Oh, les grandes qualités de Yemaya…. Avant tout, elle est la mère universelle de tous les êtres vivants, de tous les êtres humains. Elle est celle qui a donné la vie à la terre, selon les légendes Pataki. Elle est l’essence de la maternité, Elle est toujours patiente. Mais elle est aussi très sévère. C’est une Orisha qui impose le respect.
Mais elle peut également se mettre très en colère ?
Oh, oui, oui, elle peut se mettre en colère !!! Yemaya est patiente, elle supporte beaucoup de choses ; mais quand c’est trop, c’est trop !!! Alors, elle explose, comme nous, les êtres humains.
Peux-tu nous parler de tes projets artistiques et pédagogiques actuels ?
Mon objectif principal et d’enseigner, de favoriser l’échange de transmettre la culture traditionnelle cubaine dans toutes ses dimensions.
Je suis présidente d’une association culturelle appelée « Cuba, l’explosion de mon rythme ». Par son intermédiaire, j’ai présenté un projet destiné à faire venir en France la Comparsa de Cuba et de la faire participer au carnaval de Nice. C’est un projet important et à long terme, mais j’espère qu’il pourra se réaliser. Je voudrais faire venir le Cabildo de la Havane en France, pour apporter une autre vision de la culture traditionnelle cubaine.
Par ailleurs, afin de travailler avec un public différent et de tous les âges, j’ai décidé d’utiliser mes connaissances techniques et artistiques pour réaliser des projets d’animation culturelle. Dans ce but, j’ai préparée et obtenu le diplôme d’animatrice culturelle, option patrimoine.
Tu aimes mieux Cuba ou la France ?
Cuba est mon berceau. Ce sera toujours Cuba. Je sais que je mourrai là-bas. Mais j’aime beaucoup la France et j’aime aussi l’Europe. J’ai eu de nombreuses opportunités de voyager en Europe, et ces échanges culturels m’ont beaucoup apporté.
J’ai pu m’impliquer à cette occasion dans différents types de projets, ce que je n’aurais pas pu faire si j’étais restée à Cuba.
Pour moi, la France, Genève, mais aussi l’Italie ou j’ai beaucoup travaillé avec mon père et ma mère, forment un tout. Je ne veux pas comparer Cuba et la France, mais Cuba et l’Europe. Je me sens chez moi partout.
Propos recueillis par Fabrice Hatem
Pour mieux connaître Luanda Pau, vous pouvez visiter son site web : www.luandapau.com
J’ai également réalisé sur Luanda Pau un reportage vidéo. Celui-ci se divise en deux parties :
Partie 1 – Une enfant de la balle (sur sa trajectoire artistique à Cuba)
Partie II – Une artiste cubaine en Europe (sur ses activités actuelles en France)
Une réponse sur « Un entretien avec Luanda Pau »
Bonjour,
Je cherche des photos de bonne définition de Luanda Pau, car j’organise un stage avec elle. Elle n’a rien de vraiment intéressant à exploiter, et nous imprimons une brochure. Auriez-vous gardé quelques bonnes photos d’elle, et pourriez-vous nous les envoyer pour assurer la promotion ? Merci d’avance pour votre réponse. Cordialement,
Astrid Stierlin