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Carnet de voyage 2010 à Cuba

Une visite au Patio de los Dos Abuelos (Santiago)

Samedi 18 septembre 2010, Santiago de Cuba

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Chère Mireille,

Si la place Céspedes constitue le principal foyer musical de Santiago, il ne concentre cependant pas toutes les activités nocturnes de la ville. Il existe en effet quelques centres secondaires, dont notamment la place de Marte, située à quelques centaines de mètres du centre historique, dans la partie de la ville qui s’est développée à partir du début du XIXème siècle. On trouve là quelques lieux assez réputés, comme le Salon del Son ou le Patio de los Dos Abuelitos.

C’est dans ce dernier établissement que je me suis rendu samedi dernier pour rencontrer Maye, une danseuse dont m’avaient parlé plusieurs salseras genevoises. Cela m’a donné l’occasion d’une jolie balade vers un quartier de Santiago, qui quoique très central, est situé au dehors de la vieille ville coloniale où j’avais jusque-là limité mes pérégrinations. J’ai ainsi pu apprécier la vie nocturne trépidante de la longue rue Aguilera, reliant la place Céspedes à la place de Marte. Tous les cinquante mètres à peu près, une puissante musique, interprétée dans la majorité des cas par un orchestre, invite à s’arrêter à la terrasse d’un café ou à pénétrer dans le patio d’une maison aux portes largement ouvertes. La jolie Plaza Dolores, à mi-chemin du trajet, constitue à cet égard une halte particulièrement tentante.

Après 10 minutes de marche, on débouche sur la place de Marte, un grand espace rectangulaire aménagé en son centre en un lieu de promenade arboré, orné de statues, de gloriettes et de colonnades. Cela fait un peu penser à une ville d’eau européenne du siècle dernier. Les Santiagueros y déambulent tranquillement, en famille ou en couple. Un vieux Monsieur fait faire lentement le tour du jardin aux petits enfants dans une carriole miniature tirée par un âne. Un sentiment de paix profonde se dégage de cet endroit très silencieux – d’autant que la circulation automobile y est très modeste, comme d’ailleurs dans tout le reste de Santiago.

Une fois traversé le jardin, on ne tarde pas à repérer, à peu près au milieu de la rangée de façades basse qui bordent la place sur son côté extérieur, une petite maison sans étages : c’est le Patio de los Dos Abuelos. Ses murs sont couverts de peintures naïves représentant la ville de Santiago, et percés par une grande fenêtre dont le cadre bleu ciel offre un joli contraste avec les tonalités ocre et pastel de la fresque. Après avoir monté les quelques marches d’un escalier extérieur, on pénètre dans le petit salon d’entrée, ornée de nombreuses toiles, car c’est aussi un lieu d’exposition de peinture contemporaine. On débouche ensuite dans un joli patio à ciel ouvert très long et assez étroit, orné d’une luxuriante végétation qui lui sert pratiquement de toit et recouvre presque entièrement l’un de ses longs murs.

Au fond du patio, se trouve la petite scène de spectacle, bordée par un grand comptoir lumineux derrière lequel se trouvent les cuisines. Et, derrière cette scène, on trouve sur le mur du fond un bas – relief et le texte d’un poème qui donnent la solution à une énigme : Pourquoi ce nom étrange, Le Patio de los Dos Abuelos, Le patio des deux aïeux ? Il s’agit en fait d’une référence aux origines métissées, Noire et Blanche, du peuple Cubain, si bien évoquées dans le très beau poème de Nicolas Guillern, Les deux aïeux, celui qui justement est reproduit sur le mur du Patio :

Ombres que seules peuvent voir mes yeux /Vous m’escortez, mes deux aïeux./Lances aux pointes faites d’os /Tambours de cuirs et de bois/Mon aïeul Noir/Large fraise blanche sur le cou/Et grise armure de guerre/Mon aïeul Blanc

Le bas – relief illustre la même idée : il représente en effet un visage divisé en deux, dont la partie gauche appartient à un homme blanc et la partie gauche à un Noir.

Fresques murales, exposition de peinture contemporaine, poésie, sculptures : l’endroit est visiblement tout autre chose qu’un night-club ordinaire. En effet, le Patio de los Abuelos a été conçu, dès sa création, un 1994, comme un lieu de spectacle dédié à la culture populaire cubaine traditionnelle – musique et danse notamment. L’idée venait de Arnaldo Hart Davalos, qui fut aussi le premier ministre cubain de la Culture.

Vingt ans plus tard, le pari me semble avoir été plutôt tenu. L’endroit a beaucoup de charme ; les spectacles – comme d’ailleurs à peu près partout à Santiago – sont d’excellente qualité et restent pour l’essentiel fidèles à l’authentique culture populaire. Malheureusement, le prix d’entrée, quoique modeste pour nos bourses, est prohibitif pour la plupart des cubains. Le public est donc pour l’essentiel composé de touristes de passage.

Chaque jour, un groupe de musiciens différents vient jouer dans cet établissement géré par l’Etat, selon un calendrier tournant établi – comme pour les autres lieus du même type – par les autorités culturelles locales. Ce samedi 18 septembre, c’était le sexteto (presque) féminin, Perlas del Son, qui était au programme.

Avant même le début du concert, elles égayaient déjà la scène avec leur joli body de satin rose clair. Mais ce fut autre chose quand elles commencèrent à jouer les Boléros romantiques, les Son entraînants et les Garachas comiques qui composaient leur répertoire. Leur orchestre à la rythmique impeccable dégageait une énergie juvénile et joyeuse. Les trois chanteuses se complétaient merveilleusement ; l’une, un peu forte, avec sa voix verte et mutine ; la seconde, dont on se demandait par quel miracle un corps si fluet pouvait produire un timbre si puissant et profond ; la troisième, une grande et belle femme aux gestes athlétiques et au chant voluptueux.

Non seulement elles chantaient bien, mais elles animaient aussi agréablement le spectacle par de jolie mini-chorégraphies, des jeux de scène, de petites animations comiques éparpillées entre ou au milieu même des chansons. Cet agréable trio vocal était accompagné par deux guitares qui ajoutaient encore un peu de légèreté et de fraîcheur à l’ensemble.

Deux danseurs – dont justement mon amie la gracieuse Maye – vinrent égayer un peu plus la soirée par leur sympathiques démonstrations de Son, de Salsa et de Boléros.

Bref, on a vite fait d’oublier de se sentir parfaitement heureux au Patio de los Abuelos. Alors, si vous venez à Santiago un jour, n’hesitez pas a y passer une soirée pour écouter de la bonne musique, et aussi pour danser un tout petit peu.

Fabrice Hatem

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