Dimanche 5 septembre 2010, La Havane
Nb : pour consulter une vidéo et un diaporama de cette soirée, cliquez sur : vidéo et diaporama.
Lors de mon précédent séjour à la Havane, il y a deux ans, j’avais noué de chaleureuses amitiés dans le petit milieu tanguero local. J’avais hâte de retrouver mes amis, et c’est dans cet espoir que je me rendis, ce dimanche en fin d’après-midi, à la « Milonguita » du Paseo, qui se tient là deux fois par mois environ.
Je n’avais d’ailleurs moi-même pas été totalement étranger à la création de ce lieu de danse. En effet, lors de mon précédent séjour à Cuba, j’avais aidé l’organisatrice, Emma Barreras, à préparer sa première soirée, qui se déroulait alors au « palais de la culture », en plein centre du quartier populaire de Jesu Maria.
Depuis, la milonguita a migré vers le centre culturel arabe de Cuba, une très jolie maison de style vaguement mauresque, installée eu bordure de l’une des plus jolies avenues de la Ville : le Paseo, qui conduit le promeneur, sous une voûte arborée, du Capitole au Malecon. Au premier étage, on trouve une belle salle des fêtes rectangulaire au sol carrelé, assez ordinaire dans son agencement comme dans son mobilier, mais que les organisateurs de la Milonguita savent personnaliser et rendre chaleureuse par l’ajout de quelques décorations et l’utilisation de spots lumineux de couleur rouge.
J’ai eu là-bas le plaisir de retrouver quelques-uns de mes anciens amis tangueros d’il y a deux ans. Mais pas tous : quelques-uns, en effet, étaient partis de Cuba. D’autres – y compris parmi ceux présents ce soir-là – s’étaient mariés, parfois avec des étrangers. Certains couples tangueros s’étaient séparés, d’autres s’étaient formés. Bref, la vie avait continué. Je demandais des nouvelles des plus chers amis parmi les absents de ce soir-là. J’appris ainsi que beaucoup d’entre eux, membres du Groupe « Néo- Tango », achevaient fiévreusement les répétitions de leur spectacle « Miradas », dont la première devait avoir lieu le mercredi suivant au théâtre America.
J’eu beaucoup de plaisir à danser avec mes anciennes amies – ainsi qu’avec les nouvelles venues au monde du tango cubain, mais j’eus sans doute encore plus de plaisir à les regarder. Le public était constitué en majorité de personnes jeunes et bons danseurs, les progrès réalisés depuis deux ans étaient tout à fait frappants. Il ne restait presque plus rien de ces maladresses et de ces fautes de goût qui gâchaient alors parfois l’interprétation de ces jeunes gens au grand potentiel, mais handicapés par l’absence de modèles locaux et de possibilités de voyage à l’étranger. Au cours de ces deux années, le talent avait réussi à prendre le dessus – comme presque toujours à Cuba – sur les obstacles matériels[1], et la grande majorité dansait maintenant avec grâce, bonne tenue corporelle et musicalité.
Mon amie Emma animait la soirée avec un mélange de fermeté et de gentillesse. J’avoue que j’avais initialement éprouvé quelques craintes lorsqu’elle m’avait expliqué, avec la conviction d’un taliban, que sa milonga était une milonga « traditionnelle » où l’on danse « Al piso » comme dans les meilleurs salons Buenos-Aires et où les fantaisies du tango de scène ne sont pas admises. Cette attitude un peu rigide aurait pu, je le craignais, la couper du public des jeunes danseurs de la mouvance « néo-tango » – les plus nombreux, et il faut bien l’admettre, les plus intéressants du point de vue de la danse.
Mais heureusement, ce n’était apparement pas le cas. Les jeunes tangueros, qui, comme la plupart des cubains de leur âge, sont des personnes disciplinées, respectueuses des plus anciens et auxquels peu d’alternatives sont malheureusement offertes, semblaient se plier de relativement bonne grâce aux exigences de la maîtresse des lieux, exprimées de manière quelque peu impérieuse mais somme toute assez clairvoyante compte tenu de l’absence de culture tanguera locale. Nous dansâmes donc tous « al piso » sous le regard scrutateur de notre hôtesse.
Celle-ci fit preuve pendant toute la soirée de réels talents d’animatrice. Non seulement elle avait mis au point une excellente programmation musicale, mais elle sut donner du relief à la soirée par de petites animations intelligemment conçues et acceptées avec bonne grâce par le public : une jolie démonstration de Julito et Yialet ; deux morceaux dansés « al piso » par des couples volontaires « comme dans les meilleurs salons de Buenos-Aires » ; quelques morceaux de Salsa animés in vivo par un excellent chanteur, également danseur de tango ; des informations sur les prochains événements tangos à La Havane et dans le reste du monde.
L’atmosphère était amicale, accueillante ; les danseurs circulaient d’une table à l’autre pour se parler et s’inviter ; les rires et les applaudissements fusaient avec beaucoup d’enthousiasme et de spontanéïté. Je fus moi-même accueilli avec beaucoup de gentillesse comme un vieil ami retrouvé. Bref, je sortis du lieu le cœur empli de cette chaleur humaine si généreusement offerte par les Cubains.
Sur le chemin du retour, je passai devant un bâtiment à la superbe décoration intérieure : le palais des mariages, où les habitants de la Havane viennent officialiser leur union. Cette vision superbe (voir diaporama) éveilla en moi deux pensées sans rapport direct : d’une part, le fait que beaucoup de mes amis tangueros s’étaient eux-mêmes mariés depuis mon dernier passage ; et d’autre part, l’idée de la sublime beauté que pourrait retrouver la ville de la Havane, aujourd’hui en si mauvais état, si elle bénéficiait d’un programme de restauration massif. Mais c’est une autre histoire…
Fabrice Hatem
[1] Mentionnons à ce sujet que La Milonguita bénéficie du soutien financier et matériel de l’ambassade d’Argentine, sans lequel il aurait vraisemblablement été impossible de l’organiser.