Catégories
Carnet de voyage 2010 à Cuba

Peña de la Rumba au callejon de Hamel

Dimancbe 29 Aout 2010, La Havane

Hier dimanche, j’ai eu le plaisir de vivre à la Havane l’une des experiences que j’étais venu y chercher avec le plus de curiosité : une fête (peña) de danses afro-cubaines traditionnelles, dans le cadre « authentique » d’un quartier populaire (voir video).

rumnaorishas3 Tous les dimanches à midi, a en effet lieu au callejon de Hamel, dans le quartier de Centro Habana, la « Peña de la Rumba », où les danses des Orishas, le guaguanco et le Yambu sont à l’honneur. Pour vous faire comprendre les particularités du lieu, quelques rappels de géographie urbaine peuvent se révéler utiles.

La Havane intra muros se compose, en gros, de quatre quartiers : à l‘est, en face de la rade, Havana Vieja, le superbe centre historique où est concentrée la majorite des lieux touristiques majeurs, ainsi que pas mal de grands hôtels ; à l’ouest, le Vedado, quartier résidentiel habité par la classe moyenne, qui s’est surtout développé, selon un plan en damier, dans la première moitié du XIXème siècle ; de larges avenues y longent des maisons art déco et des villas de style colonial entourees de grands jardins ; encore plus à l’ouest, se trouve Miramar, la partie la plus huppée de la Havane, où l’on trouve beaucoup d’ambassades, ainsi que ce qui tient lieu ici de quartiers des affaires – quelques immeubles un peu plus hauts et modernes que les autres.

jesumaria Entre Havana Vieja et le Vedado, s’étend le quartier le plus populaire de la Havane, Centro Habana. Construit à partir de la seconde moitié du XIXème siècle, lorsque la ville a commencé à s’étendre au- delà du noyau historique de Habana Vieja, c’est lui qui offre quelques-unes des images les plus typiques de la ville, celles qui ont fait le tour du monde avec le film de Wim Wenders Buena Vista Social Club : les vieilles voitures américaines sur la promenade du Malecon, en bord de mer ; les solares, autrefois belles maisons de maîtres à arcades et balcons en fer forgé, devenues aujourd’hui d’insalubres et dangereux taudis menacés d’effondrement ; les rues sales et en mauvais état, mais si pleines de vie, avec les joueurs de cartes sur le pas des portes, la musique de Salsa qui s’échappe des fenêtres, l’enchevêtrement menaçant des câbles électriques et de téléphone au-dessus de votre tête, les voisines qui s’interpellent d’une terrasse à l’autre en étendant le linge, les coqs qui vous réveillent à six heures du matin…

Mais pourquoi des coqs ? Pour les manger ? Non, pour les cérémonies de la Santeria, cette religion d’origine africaine, dont Centro Habana, peuplée en majorité d’une population noire assez voire très pauvre, constitue l’un des bastions. Derrière les façades lépreuses des solares, on honore Chango et Obalala, on fait appel à la bienveillance d’Ochun ou de Yemaya, on implore Babalu Aye pour qu’il guérisse une personne aimée. Et cela passe par des offrandes, des sacrifices de coqs ou de chèvres, des cérémonies magiques, des rites religieux où la danse et les tambours jouent un rôle central…

Jrumbacentrohabana ‘en viens donc, tout doucement, à mon sujet du jour. Encore un peu de patience…

Lorsque l’on traverse d’est en ouest Centro Habana, en partant donc des limites de Habana Vieja, on peut avoir, au premier abord, l’impression que l’intérêt des lieux diminue à mesure que l’on s’éloigne du centre et qu’on se rapproche du Vedado : les maisons se font plus basses – quoique toujours aussi délabrées – ; il n’y pas grand monde dans les rues, pas de boutiques, pas de monuments spectaculaires. Bref, on traverse un coin de faubourg pauvre, en semi-deshérence, apparemment sans grand intérêt.

rumbahamel1 Erreur !!! C’est justement là, dans une sorte de petite impasse, cachée à quelques rues du Malecon, que se trouve l’un des endroits les plus vivants et les plus intéressants sur le plan artistique de toute la ville. C’est que Salvadore Escalona, un sculpteur et peintre muraliste, a réalisé la plus grande de son œuvre, qui consiste tout simplement…. À couvrir de fresques murales toutes les maisons de la rue et du pâté de maisons adjacent. Cela a représenté plus de dix ans de travail, mais le résultat en vaut la peine : autrefois triste, délabrée et sans intérêt apparent, la rue s’est transformée en un univers coloré, magique, où les façades sont recouvertes de grandes peintures naïves. Ici et là, des sculptures de style surréaliste sont disposées sur le trottoir.

rumbahamel2 Le projet n’est pas qu’artistique, il est apparemment social aussi, puisque de nombreuses activités, destinées aux habitants du quartier – enfants, personnes âgées, etc. – sont régulièrement organisées. De plus, la Santeria est aussi mise à l’honneur, sous la forme d’une petite maisonnette où les habitants viennent faire leurs offrandes aux Orishas. Je n’ai malheureusement pas encore pu interviewer les responsables de ces activités, mais je ne serais pas étonné que le concept fédérateur en soit, plus ou moins, le suivant : « redonner vie au quartier et fierté à ses habitants par la mise en valeur de la culture et des croyances populaires, la présence de l’art (naïf) dans leur vie quotidienne, et l’organisation d’activités sociales autogérées ». Conjecture à vérifier lors de ma prochaine visite, qui ne saurait d’ailleurs tarder car…

rumbapulic1 …Car c’est là que se déroule, le dimanche en milieu de journée, la peña de la Rumba. La scène, installée pour l’occasion au milieu de l’impasse, est tout petite. On peut regarder le spectacle un arrivant directement de la rue, mais la cohue empêche de bien voir. Il vaut donc mieux se faufiler sur le côté pour rejoindre le public, une foule très dense composée pour l’essentiel des habitants noirs de ce quartier pauvre, au milieu desquels les touristes sont immédiatement repérables par la blancheur de leur peau, la bonne qualité de leurs vêtements, et, pour certains, la taille impressionnante de leurs appareils photos.

rumbapubkic2 Le mélange est cependant assez réussi et bon enfant, même si les « touristes blancs riches » ont une petite tendance à se concentrer sur les premiers rangs des quelques chaises disposées en face de la mini-scène, tandis que les « habitants noirs pauvres » restent plutôt debout sur la périphérie. Mais enfin, tout le monde y trouve son compte : les touristes peuvent prendre leurs photos, les musiciens peuvent vendre leurs CDs aux touristes, et les habitants peuvent esquisser quelques pas de danse au son de la musique. Un esprit de tolérance et de pragmatisme typiquement cubain…

rumbaprishas1 Quand je suis arrivé, vers 13 heures, les danses des Orishas battaient leur plein : chaque Dieu, comme certains d’entre vous le savent, a sa couleur ; il avait plusieurs très jolies Ochun en jaune, une Yemaya bleue et un Obatala blanc ; j’ai eu la surprise de voir une jeune femme, en rouge et blanc, íncarner Elegba, l’Orisha du destin. Oya, toute en rouge comme son epoux Chango, etait aussi interpretee avec beaucoup de talent. Quant à Oggun, dieu des forges et de la guerre, vêtu de vert avec son pagne de paille, il avait pris les traits dun danseur au buste magnifique. Il manquait, me semble-t-il, Chango le rouge, Dieu des éclairs et de la danse, mais peut-être étais-je arrivé trop tard…

Les danses des Orishas se faisaient au son des chants traditionnels, accompagnés par les tambours rumbaorishas2 sacrés Bata. Plusieurs personnes dans le public faisaient également quelques pas, tandis que les touristes – dont moi-même – flashaient. J’avais même donné à un gamin du coin quelques pièces pour qu’il me laisse sa place assise, particulièrement bien située pour les photos. Mea culpa.. Mais c’est lui qui me l’avait demandé, et, en y repensant, je me dis aussi qu’il s’était, justement, peut-être assis là exprès pour cela…

Apres un groupe de Reggaeton, la peña se termina par de très belles rumbas, chantées et dansées, qui donnèrent l’occasion à plusieurs couples de donner des démonstrations de guaguanco. Cela me permit de mieux percevoir la dimension comique, voire bouffonne, de cette danse de séduction très suggestive où la femme provoque l’homme qui tourne autour d’elle en tentant de la posséder. Les danseurs n’y nouent pas seulement une relation hyper-érotique, mais jouent aussi beaucoup, se moquant mutuellement l’un de l’autrerumbarumb2 ; la femme quand elle a réussi à faire échouer les tentatives masculines, d’ailleurs provoquées par elle, et regarde son partenaire d’un air un peu goguenard, comme pour lui dire « y’a rien pour toi, ici !! » ; l’homme, au contraire, quand il a réussi à parvenir à ses fins, a « vacuner » la femme, et prend à témoin, d’un air triomphant le public de son succès.

Je partis un peu avant la fin de la Peña, mais le cœur et les yeux pleins de belles images, et bien décidé à revenir dimanche prochain.

 

Fabrice Hatem

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.