Par Fabrice Hatem
Une passion partagée peut servir d’aliment à l’amitié. Mais il est rare de rencontrer des personnes avec lesquelles on partage plusieurs passions. Ce fut mon cas avec Michèle Hertach, puisque nous sommes tous deux amoureux à la fois du Tango et de la culture afro-cubaine, dans leurs différentes dimensions : poésie, musique et danse.
Nos chemins se sont donc naturellement croisés au cours de mes deux années de séjour à Genève. Nous avons beaucoup dansé ensemble le Tango et la Salsa (voir vidéos 1 et 2). Elle a animé par ses talents de chanteuse mes conférences sur la poésie tanguera à Kérallic en décembre 2009. Elle m’a ouvert son carnet d’adresses à Cuba lorsque j’ai décidé d’aller passer quelques mois dans ce pays à la fin de 2010. De mon côté, je l’ai aidé à préparer ses spectacles de chant du printemps 2010 en lui fournissant quelques traductions et analyses de textes de Tango. Et, avant mon départ pour Cuba, j’ai mis en images un très émouvant poème qu’elle avait écrit sur La Havane.
Michèle est une femme sensible et généreuse. Elle m’a toujours témoigné beaucoup d’amitié. Je me souviendrai avec tendresse et reconnaissance de ces répétitions de Salsa à Kérallic, de ces cours pris en commun, de ces dîners amicaux, de ces rencontres impromptues dans les milongas de Genève, de l’aide spontanément apportée par elle pour préparer mon voyage à Cuba.
Michèle est également une comédienne, une conteuse et une chanteuse de talent, dont le large répertoire va du Tango à la chanson française, en passant par le folklore Bolivien[1]. C’est une poétesse, dont certains textes sur Cuba et la Havane m’ont profondément ému. C’est une danseuse inventive, joyeuse, parfois exubérante.
Nos parcours entre Tango et culture Cubaine se sont faits en sens inverse : j’ai commencé par éprouver une longue passion pour le 2X4 avant de m’intéresser, depuis quelques années, à l’Afro-Cubain. Michèle a fait de très long séjours jusqu’au milieu des années 2000 à Cuba, dont elle connaît bien les milieux artistiques et littéraires, avant de se tourner, plus récemment, vers l’Argentine et vers Buenos-Aires.
Je lui ai posé quelques questions sur sa double passion, qui me permettent également de mettre en perspective mon propre parcours personnel entre le Rio de la Plata et le Malecon.
Qu’est qui t’a amenée au tango ? A l’afro-cubain ?
Aussi loin que remonte ma mémoire, j’ai dansé. Déjà, à cinq ans, alors que j’habitais au Maroc, je faisais la danse du ventre devant les invités de mes parents. Plus tard, j’ai fait du ballet moderne pendant une quinzaine d’années. J’adore tout danser, exprimer avec mon corps (et tous mes sens) les rythmes, les mélodies, les sons, quels qu’ils soient. J’aime la diversité mais j’ai, bien entendu, des préférences. Je suis curieuse de découvrir ce que je ne connais pas et c’est ce qui m’a amenée, un jour, au tango. Alors que j’étais assise au bord de la piste d’une milonga; alors que j’observais avec attention et fascination les danseurs, je suis tombée amoureuse des chaussures de tango de ces dames… Voir évoluer les jambes des tangueras dont les pieds étaient chaussés de si fines, si gracieuses, si coquines, si féminines sandales à talons si hauts et si fins…. ça m’a fait craquer…. Il fallait que j’aie l’occasion de porter de telles chaussures ! Hm, voilà une des raisons. Et je porte ces chaussures même lorsque je donne un récital de tango ! (je me suis donnée corps et âme : non seulement je le danse mais je le chante).
Pour ce qui est de l’afro-cubain, j’ai vécu à La Havane où j’ai baigné dans la musique et le rythme et où j’ai assisté à de nombreux spectacles folkloriques ainsi qu’à des cérémonies de la Santaría. En outre, j’aime les danses africaines et je dois dire que la percussion me fait vibrer ; je ne peux rester en place ! J’aime toutes les danses latines et je danse la salsa, entre autres.
Que t’on apporté chacune de ces deux cultures ?
Le tango m’a apporté sa musique passionnée ; violente mais aussi douce et fragile ; désespérée mais aussi gaie et ludique. Il m’a apporté l’abrazo, c’est-à-dire le contact corporel, charnel que notre société nous empêche d’avoir de peur de… De peur de quoi ? Je me le demande ! Notre société est malade, entre autres, sur le plan relationnel, puisqu’elle a brisé nos élans spontanés, instinctifs. Alors le tango est là pour essayer de nous aider à rencontrer la chaleur de l’autre qui, à mon avis, est indispensable pour notre équilibre affectif.
La musique afro-cubaine ou plus exactement les musiques cubaines m’ont apporté la gaieté, la joie de vivre ; la sensualité animale, instinctive ; la spontanéité. Lorsque je danse la salsa, je parle avec mon corps, j’improvise au son de la mélodie tout en respectant le rythme. Je m’amuse à mélanger différentes danses, j’évite de danser de façon académique comme si je répétais une leçon bien apprise.
Quel est ton meilleur souvenir pour chacune ?
Il y en a plusieurs ! Pour le tango, c’est lorsque j’ai dansé dehors, face au coucher du soleil qui inondait de ses chaudes couleurs le paysage et les âmes… Et c’est aussi lorsque j’ai donné un récital dans une imposante et magnifique demeure des siècles passés.
En ce qui concerne l’afro-cubain, c’est lorsque j’assistais à un spectacle qui était aussi bien sur scène que dans le public ! Car les Cubains dansent spontanément (quand ils veulent et où ils veulent) et moi je faisais de même !
Quelles sont les sources de tes plus intenses émotions pour chacune ?
J’adore danser Pugliese et Piazzolla avec certains danseurs, pas tous ! Il en va de même pour la milonga traspié qui, dans le sens générique du tango, est ma danse préférée. Cela mis à part, je ne dois pas oublier de dire que lorsque je chante le tango, je vis des émotions multiples et diverses et cela en fait un moment d’exception.
Pour les danses afro-cubaines, c’est lorsque j’entends vibrer les instruments à percussion et que je donne libre cours à ma sensibilité et ma sensualité.
Quelles sont selon toi les différences et ressemblances entre elles ?
Je dirais que tout est différent et, pourtant, ces danses ont un point commun : leur sensualité ! Mais une sensualité qui s’exprime de façon diamétralement opposée. L’une est tout en finesse, subtilité, puissance et douceur ; l’autre est plus crue, viscérale.Comment as-tu navigué (et navigues-tu toujours) d’une culture à l’autre ?
J’en reviens à mon goût pour la diversité en disant que j’aime me baigner dans des ambiances, des cultures complètement différentes les unes des autres. Après avoir vécu à Cuba plus de 6 mois, en 2000 et d’y avoir séjourné plusieurs fois, pour des raisons culturelles, jusqu’en 2003, je me suis tournée vers le tango, en 2006 et, en 2007, je partais vivre au cœur de la culture tanguera : Buenos Aires. Depuis mon retour, « imprégnée » de tango, j’en donne des récitals et je le danse. De temps à autre, je retourne à mes premières amours : les rythmes afro-cubains et j’interprète des contes.
Comment vois-tu la suite de ton investissement dans chacune d’entre elles ?
Je vais probablement continuer à donner des récitals de tango et, d’autre part, raconter des fables, des contes de ce pays triste et joyeux à la fois : Cuba. Cela mis à part, jamais je ne cesserai de danser !
Propos recueillis par Fabrice Hatem
[1] Pour voir des extraits de ses spectacles et en savoir davantage sur sa carrière artistique : http://www.michele-h.net/