L’actualité abonde de nouvelles déprimantes : marée noire en Louisiane, guerres qui menacent un peu partout, crise financière, chômage… Et, puis chacun d’entre nous a en plus, ses petites et grandes blessures… Alors, l’idée nous est venue de faire souffler un petit vent d’optimisme et de bonheur en vous racontant une jolie histoire d’amour. Une histoire toute simple, mais qui pourrait un jour vous arriver, et que vous pourrez lire chaque fois que vous aurez la grippe, que votre patron vous aura houspillé ou que votre petit(e) ami(e) vous aura plaqué(e), pour vous remonter le moral. Elle se déroule, à Genève, dont les jardins se prettent merveilleusement bien l’été aux rencontres amoureuses.
A. était une jolie et piquante brunette, qui, bien que genevoise de naissance, montrait des signes évidents de ses origines italiennes. Cela faisait maintenant près de huit mois, au début d’août 2009, qu’elle avait commencé à danser le tango. Une amie, attirée à Rome par un professeur italien, lui avait proposé de venir la rejoindre. A deux reprises, elle s’envola pour une petite semaine tango-romaine….
Ces voyages hivernaux vers le sud avaient eux-mêmes quelque chose d’un peu secret et d’excitant, qui, au tout début, plut beaucoup à A. Ici, à Genève, elle menait une vie tranquille et discrète. Arrivée à Rome, elle chaussait ses talons aiguilles, enfilait ses bas noirs et sa petite robe échancrée sur la cuisse, et se glissait dans la peau d’une mystérieuse tanguera …
« Loin de Genève et de ses préoccupations du moment, Rome et son tango avaient ouvert une nouvelle piste de danse à ma vie. Un «tout est possible» était apparu en moi et me donnait des ailes !!! Le lendemain de mon arrivée, après mes quatre premières heures de cours, le sourire aux lèvres, la joie au fond du coeur et la peur au ventre, j’affrontais ma première milonga !!!! C’est chaussée de talons à paillettes dorées que je me suis lancée sur la piste, invitée par un charmant tanguero. Quatre heures de cours, c’est peu… Il n’y avait que les paillettes de mes chaussures qui brillèrent ce soir là !!!! Mais c’est le coeur heureux, la tête dans les étoiles et les doigts de pieds en sang que je me suis endormie ! ».
Mais bientôt, la passion de la danse et le désir de la pratiquer plus souvent conduisirent A. à fréquenter également, à partir de la fin du printemps, les milongas genevoises. « A cette époque célibataire et heureuse de l’être, je chérissais cette liberté de voler, selon mon envie, sans lien ni attache…. et le tango mettait une jolie couleur dans ma vie ».
Lorsqu’elle arriva au soir de ce dimanche 9 août à la milonga du Club Alpin Suisse, elle ne savait pas que cette soirée allait ouvrir un nouveau chapitre de sa vie. Le CAS est une grande salle rectangulaire toute lambrissée de bois, à laquelle on accède par un grand escalier décoré de vieux tableaux de montagne – Club alpin oblige – et dont les immenses fenêtres s’ouvrent largement sur l’immense place de Plainpalais.
En face de l’entrée, se trouve un bar où le maître de céans, Claudio, vous accueille toujours d’un petit mot gentil quand il n’est pas sur la piste avec l’une de ses invitées. Tout au fond, devant des grandes fenêtres à double-battant ouvrant sur un long balcon, des rayonnages proposent aux danseurs une bibliothèque très complète sur… les Alpes, un sujet qui ne semble d’ailleurs pas susciter chez eux un très grand intérêt.
A. était une peu partagée entre l’envie d’être invitée à danser et la peur de l’être… "je n’étais alors encore qu’une toute petite danseuse". Mais son arrivée n’avait pas du tout échappé à N., un séduisant macédonien installé en Suisse depuis près de 6 ans. Venu de la danse de salon, N. avait commencé le tango argentin plusieurs années auparavant, naviguant entre Zurich et Skopje. Arrivé depuis peu à Genève, il se souvenait très bien de sa première danse avec A. quelques mois auparavant, et ne manquait jamais de lui faire un petit signe quand il la voyait, même si les occasions de danser ensemble s’étaient depuis faites assez rares, du fait des nombreux déplacements professionnels de N.
Aussi N. très rapidement, s’approcha-t-il de A. pour l’inviter. Et ce soir-là, ils dansèrent ensemble longtemps. Ils parlèrent peu, pour la bonne raison que N. ne connaissait pas bien le français. A. essaya alors, sans succès, l’espagnol, puis l’anglais. Mais, à la vérité, cela n’avait pas beaucoup d’importance. Il existe pour communiquer et ressentir les choses bien d’autres moyens que la parole… Le Tango, d’ailleurs, n’a-t-il pas eu pour première fonction que de permettre à des hommes et des femmes immigrés, venus de pays différents, de se rapprocher et de communiquer par le langage du corps ?
Cest ce qui arriva, aussi, à A. et N. ce soir-là. Rien que par le contact proche de son corps, par les impulsions rythmiques qu’il lui transmettait, par son sourire, par son étreinte, et par mille autres minuscules mouvements impossibles à décrire, A. avait le sentiment de pénétrer dans l’intimité de N., de le connaître mieux que si elle avait parlé avec lui des heures entières. « Dans ses bras, j’ai touché un subtil et incroyable mélange de force et douceur ».
A la fin de la soirée, N. invita A. à prendre un verre dans un café de Plainpalais, où leur mains s’effleurèrent sur une table – pour la première fois dans un lieu différent des pistes de danse. Il était très tard, peut-être 1h30 du matin, mais cette nuit d’Août était encore très chaude. Ils traversèrent la grande place de Plainpalais – un immense espace vide, dont la présence, au cœur même de la grande ville, a quelque chose d’étrange et d’incongru – longèrent le bâtiment rectangulaire de l’église catholique romaine – dont les colonnades factices font vaguement penser à un temple grec – et se dirigèrent vers le parc des Bastions. L’un comme l’autre goûtaient intensément le plaisir de cette flânerie nocturne et cherchaient, par une tacite connivence, à la prolonger aussi longtemps que possible. (voir le diaporama de cette flâneirie).
Les hasards de leurs pas les conduisirent bientôt dans le parc des Bastions, lové entre la place Neuve et les contreforts de la vieille ville. Ce parc a ceci de particulier, que bien que fort étroit, sa configuration particulière donne au promeneur une impression d’immensité. En effet, un grand rideau d’arbres magnifiques masque totalement la rambarde qui sépare le parc de la butte sur laquelle est située la vieille ville. En regardant dans cette direction, on ne voit donc que des frondaisons arborées, qui donnent au promeneur l’illusion de se trouver à l’orée d’un bois profond.
C’est sous ces grands arbres qu’ils s’assirent, presque à l’entrée du parc, à la table d’une guinguette encore ouverte. Au fond, en surplomb de la terrasse où ils se trouvaient, une grande salle aux montants en fer forgé de style art déco, toute entière entourée d’une verrière, laissait échapper de la musique de Salsa.
« Il était difficile, voire impossible de découvrir cet homme par les mots. L’anglais n’était ni ma langue, ni la sienne. Elle agissait comme un voile, ne permettant pas l’accès aux richesses du vocabulaire et aux subtilités dulangage… Mais peu m’importait alors… La présence de cet homme, était incroyablement belle… Les mots étaient devenus superflus ».
Ils restèrent longtemps assis là, à savourer silencieusement la volupté de la nuit, la gaieté de la musique, et surtout la grande douceur de cet instant suspendu… Un délicieux sentiment réciproque de désir et d’amour dansait en eux.
Quand ils se levèrent pour rentrer, c’est elle, qui d’un geste spontané, irréfléchi, prit N. dans ces bras….Au bout d’un doux moment d’étreinte silencieuse, ils partirent, chacun de leur côté, sans même avoir échangé un baiser, mais sur la promesse d’une nouvelle rencontre, le lendemain, à la milonga du parc Mon Repos.
Mais, le lendemain matin, il faisait froid et il pleuvait. L’organisateur de la milonga annonça donc son annulation sur Facebook. Encore une fois, comme assez souvent l’été à Genève, Eole avait contrarié les plans des amoureux et de leur ami, Eros. Il suffit d’une basse pression venue de l’ouest, et toutes les promenades main dans la main, tous les premiers baisers prévus pour ce jour-là par Eros au parc Mon repos ou au Jardin anglais tombèrent à l’eau – si l’on peut utiliser cette expression sans créer de confusion compte tenu de la proximité du lac.
Il fallut finalement attendre le mercredi pour que nos deux amis puissent se retrouver. Les soirs d’été, une milonga y est organisée dans un kiosque à musique, à l’entrée du Jardin anglais. Depuis la piste circulaire, on y domine, d’un côté, les tables d’un restaurant en plein air, et, de l’autre, la promenade arborée qui longe le lac Léman. Lorsqu’elle y arriva, le cœur battant, il était déjà là, aux bras d’une danseuse, M., qu’il abandonna presque immédiatement en voyant A.
Ils passèrent presque toute la soirée dans les bras l’un de l’autre. Il semblait que le DJ, le vieux Jorge, ait été mis par une divinité bienveillante dans le secret de leur amour naissant, tant il s’évertuait à passer toutes les compositions sur lesquelles A. et N. aimaient le plus danser ensemble. L’une d’entre elles, en particulier, un tango grec, Tango to Evora, par les accents langoureux de ses mélopées, provoqua en eux un sentiment particulièrement fort de tendresse et d’émotion.
La chaleur humaine qui se dégageait du groupe des danseurs réunis par leur passion partagée sur cette plateforme en surplomb du jardin, la beauté du vert feuillage des arbres qui s’agitaient sur le ciel étoilé, la proximité du lac qui reflétait d’abord la lumière du jour finissant, puis, plus tard, celle des étoiles, tout incitait à l’éclosion du sentiment amoureux. Ils dansèrent si intensément, ce soir-là, qu’un ami argentin, M. joueur de bandonéon de profession, leur dit en les croisant en fin de soirée : « Vous étiez vraiment beaux, tous les deux … Si ça ne se termine pas par un mariage… ». Mais les choses furent un peu plus compliquées…
"Ce soir-là, après avoir traîné un peu à discuter, je ne vis soudain plus N.! Il s’était éclipsé. J’enfourchai mon vélo, dans l’espoir de le voir sur le chemin. Mais dans quelle direction était-il parti ??? Et comment ??? A pieds, en vélo, en voiture ??? Je rentrai seule, un peu en colère contre moi-même de n’avoir pas été attentive, mais avec l’espoir de le voir le surlendemain à la Milonga de Morges ».
Morges est une petite ville située au bord du lac, entre Genève et Lausanne – mais plus près tout de même de cette dernière. On y trouve en face du débarcadère un grand château de style moyenâgeux, aujourd’hui transformé en musée d’histoire militaire. Il est bordé d’un grand parc, le parc de l’indépendance, lui-même traversé par une petite rivière, tombée du Jura, et qui serpente entre les arbres pour se jeter dans le lac Léman. Entre le château et la rivière, au cœur du parc donc, se trouve un kiosque à musique de style art déco. C’est là que, tous les vendredis d’été, des tangueros de Lausanne organisent une milonga en plein air. Et c’est là que ce vendredi 14 août, A. guettait impatiemment, depuis 2 heures déjà, l’arrivée de N. Mais, ce soir-là, N. n’arriva pas.
Pour un tanguero présent dans une milonga, la vaine attente d’un être désiré est un douloureux supplice, qui commence bien et qui finit mal. En arrivant au bal, on est empli de l’espoir, voire de la certitude, de voir bientôt arriver l’objet de son désir. Puis, une heure passe ; on guette, sans encore trop d’inquiétude : un diner un peu tardif, sans doute, ou bien les aléas de la circulation ? Mais 10 heures sonnent, puis 10h30, et toujours personne… Un premier doute s’installe : peut-être ne viendra-t-il pas ? Une conséquence immédiate est un mélange de déconcentration et de perte d’énergie dans la danse : on n’accorde plus l’attention nécessaire à son partenaire du moment, on guette l’arrivée de l’Autre, et, comme il ne vient pas, on se sent mou, avachi, sans énergie. Et en conséquence, on danse mal, et surtout on a le sentiment de mal danser et de n’éprouver, ni de ne donner, aucun plaisir. Encore un moment, et l’on s’excuse auprès du dernier partenaire, on va s’asseoir ou prendre un verre, seul et tourmenté pas une anxiété croissante. Lorsque passent les 23 heures fatidiques, il devient clair maintenant qu’il (elle) ne viendra pas.
Alors, l’angoisse cède la place à une morne sensation de vide et de tristesse, qui selon les caractères, les moments et les situations, peu parcourir toute l’arc en ciel des sentiments – depuis la simple contrariété jusqu’au désespoir absolu. Pourquoi n’était-il pas venu ? Avait-il été vexé de son manque d’attention le mercredi soir lorsqu’elle s’était perdue dans des discussions sans importances et l’avait laissé partir sans même lui dire au revoir ? Non, elle ne laisserait pas de telle pensée s’installer en elle. Le coeur vide, elle reprit la route seule, espérant le voir samedi à Annecy.
Mais quand elle se rendit, le lendemain, à la milonga d’Annecy, le guettant en vain pendant toute la soirée, son anxiété se transforma en une intolérable torture. L’absence de N. lui faisait ressentir encore plus douloureusement, par contraste, le charme du lieu, une petite scène entourée de lampions colorés, installée à l’endroit où le canal venu du lac d’Annecy pénètre dans la vieille ville, et devant laquelle les flâneurs s’arrêtent volontiers pour admirer les évolutions des danseurs. Qu’il aurait été agréable, à ce moment, d’être blottie dans ses bras, de voler avec lui au-dessus des eaux du lac !!! Mais il n’était pas là, et, malgré les multiples invitations dont elle était l’objet, A. se sentit ce soir-là atrocement seule…
Le week-end s`écoula avec une lenteur insupportable. Mais, lundi matin, un magnifique soleil illuminait Genève. Cela signifiait que, cette fois-ci, la Milonga de la Perle du Lac allait bien avoir lieu.
S’il existe à Genève un lieu magique, qui incarne tous les plaisirs de l’été tanguero, c’est bien cette milonga en plein air. Elle est située dans l’un des lieux les plus aérés et les plus agréables de la ville, le Parc Mon repos, qui borde le lac Léman. C’est là, sur une petite butte, entre une grande pelouse environnée de bosquets d’arbres et une ancienne maison de maître transformée en musée des sciences, que se tient, les lundis d’été, la "Milonga des sciences et des sens". Un système astucieux de plancher démontable en contreplaqué permet, en recouvrant le sol poussiéreux et au goudronnage inégal, d’offrir aux danseurs un lieu favorable à leurs évolutions.
L’espit bouleversé par un mélange d’espoir et d’anxiété, A. arriva la première, presqu’à l’ouverture du bal, et se mit à guetter. Mais, cette fois, elle n’attendit pas longtemps. Au bout d’une demi-heure à peine, N. arriva. A., saisie d’une transe de gaieté, comme rescapée d’un cauchemar, alla à sa rencontre en cherchant à paraître aussi détachée que possible.
Elle ne lui demanda pas où il était parti. Elle ne lui dit pas quelle anxiété avait été la sienne au cours du week-end. Elle ne lui confia pas combien elle était heureuse de le retrouver. Elle se blottit dans ses bras pour danser, lui dire avec son corps et son sourire combien elle l’aimait, et écouter aussi le corps de N , lui répondre et l’assurer de son amour. Et c’est ainsi qu’ils passèrent la soirée, dans un état d’osmose amoureuse, bercés par la musique. Ils avaient l’impression que leur corps et leur âme avaient fusionné, au rythme de la danse, et qu’ils survolaient ensemble l’océan, comme un seul bel oiseau au vol lent et majestueux.
En partant, après avoir participé, comme c’est la coutume, au démontage et au rangement collectif des planches, ils descendirent vers le lac. Ils longèrent longuement la rive, en se dirigeant dans la direction de la ville, lui à pieds, elle à moitié montée sur son vélo. Et, presque arrivés à la limite du parc, ils s’arrêtèrent sous un grand saule, en face d’une petite cahute, pour échanger leur premier baiser.
Notre petite semaine d’amour genevoise se termine ici. Mais pour A. et N., bien sûr, l’histoire durera beaucoup plus longtemps. La pluie d’automne balaya les allées des parcs, le froid de l’hiver poussa les tangueros à se réfugier vers la chaleur de lieux clos comme le club Zou, mais A. et N. gardaient vivant dans leur cœur le souvenir de leur merveilleux été, dont la chaleur continuait à faire croître la belle plante de leur amour. A la fin de l’hiver, ils décidèrent de se marier au mois de mai.
Le matin du mariage, un dieu jaloux, encore Eole sans doute, tenta une dernière fois de faire obstacle à leur bonheur. Il pleuvait à verses dans les rues de Carouge. Les bagages de N. avaient été égarés, avec son beau costume de marié, quelque part entre Skopje et Paris. Une demi-heure avant la cérémonie, la couturière d’A. était encore bloquée dans les encombrements provoqués par la pluie et les travaux du tramway. Et puis, quelques minutes avant midi, tout s’arrangea. La pluie fit soudain place à un soleil radieux. La couturière frappa, toute essoufflée, à la porte de A. , portant comme un trophée la robe de mariée.
Bientôt, un joyeux cortège parcourut les rues de Carouge pour se rendre à la mairie, accompagné par deux musiciens tziganes – un violoniste et un accordéoniste – rencontrés quelques jours plus tôt sur le pont de l’ìle Rousseau et sollicités pour l’occasion.
Une fois le mariage célébré, la troupe ressortit de la mairie pour se diriger vers le lieu de la réception, une charmante maison de Carouge encore toute imprégnée de son passé pas si lointain de ferme- étable. Et, bien sûr, les nouveaux mariés y dansèrent pour leurs amis un élégant tango en costume de noces.
Le soir, Claudio les accueillit au Club Alpin Suisse., où il avait dressé en leur honneur, sur l’une des côtés de la piste, une grande table couverte de bougies. Toute la salle était aussi, ce soir-là, éclairée aux chandelles, qui accueillaient les hôtes dès l’escalier d’entrée. Ce fut un joli moment de danse partagé avec tous leurs amis danseurs. Et c’est avec un immense joier qu’ils ouvrirent le bal ce soir-là…
Mais voyez-vous, sur le coin gauche de la photo ci-contre, une légère ombre se profiler ? C’est celle d’un autre danseur (ou d’une danseuse, nous n’avons pas encore décidé) qui, le soir même, venait de vivre une rupture douloureuse. Comme les destins se croisent, sur une piste de danse !!! Sur le même lieu sont réunis le bonheur et l’angoisse, l’attente et la lassitude, l’ennui de l’attente et l’excitation de la première étreinte, la promesse et le refus. Et il en sera ainsi, pour toujours, dans toutes les milongas du monde. Parfois, deux de ces êtres-univers se rencontrent d’un peu plus près, pour se donner mutuellement de la joie ou de la peine.
Revenons à nos deux heureux protagonistes d’aujourd’hui. Quelques jours après leur mariage, ils partirent pour un petit voyage de noces improvisé. Les hasards de la route les firent s’arrêter dans un joli gite de la région d’Uzès, au cœur d’une campagne aux couleurs de l’arc en ciel. Le soir, ils finirent par aborder le thème du tango, dont il s’avéra que la maîtresse des lieux, une australienne venue s’installer en France par amour des vieilles pierres et du bon vin, était également une afficionada. A la fin de la fin de la soirée, la décision était prise : A. et N. allaient organiser là une milonga sous les étoiles.
Et voilà comment, quelques semaines plus tard, ils se retrouvèrent. à leur tour, à transporter et ajuster des planches en contreplaqué pour préparer la milonga du soir. Voilà comment ils dansèrent, avec quelques élèves et amis, dans le cadre délicieux de la campagne ardéchoise, accompagnés par des musiciens du cru. Et parions que bientôt, à l’occasion d’une nouvelle milonga organisée par eux, un danseur et une danseuse se rencontrerons pour vivre une belle histoire d’amour et poursuivre la ronde.
Voila, l’histoire est terminée. Nous avons voulu vous l’offrir comme un viatique. Pour les gens heureux, elle fera résonner l’écho de leur propre bonheur. Pour ceux qui le sont moins, elle pourra être utilisée comme une sorte de remède anti-tristesse dont nous vous livrons ici la posologie : placez- vous devant votre ordinateur, regardez avec attention les bandes vidéos et les photos. Fermez ensuite les yeux en vous remémorant les parties du texte qui ont le plus éveillé en vous la sensation du bonheur. Puis, imaginez que vous avez pris la place de l’un des deux personnages – masculin ou féminin selon les cas – et que l’objet de votre désir insatisfait s’avance vers vous en souriant, comme N. et A. s’avancent l’un vers l’autre dans notre histoire. Rêvez très fort que vous la (le) prenez dans vos bras pour danser, puis que vous vous promenez ensemble sous les étoiles. Ajoutez un peu de musique, un guitariste, un violoniste, quelques amis, la montagne, une rivière, un beau tango, et voilà, vous êtes heureux, vous aussi. Et puis, chaque fois que cette plate vie réelle vous refusera ce bonheur, recommencez à rêver.
Si notre histoire, à la longue, vous paraît trop monotone et répétitive, inventez-en vous une autre… mais n’oubliez pas alors de nous l’offrir par quelques photos, pour que nous puissions, nous aussi, rêver un peu dans la vie parallèle qu’elle nous ouvrira.
Fabrice, Anne et Nadri