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Historias minimas

Vers la mort blanche

Koeningsberg, le 15 mai 1812

Ma petite maman,

Grace au vaguemestre qui a bien voulu écrire cette lettre, je peux te donner de mes nouvelles. Depuis que j’ai quitté le village il y a 3 mois, j’ai déjà vécu bien des aventures. Dès mon arrivée à la caserne du 2ème carabinier, j’ai apporté une bouteille de vin au brigadier Julliard, du 1ème escadron, comme l’oncle Pierre ne l’avait demandé. carab1 Le brigadier m’a accueilli joyeusement et a rameuté les autres sous-officiers pour boire à sa santé. Je crois que l’oncle Pierre était très aimé : il disent que c’était un vrai « boureau des crânes », une des meilleurs lames du régiment, et qu’il avait bien arrangé plusieurs de ces petits morveux de hussards qui prennent des grands airs avec le reste de l’armée. Il disent aussi que les chirurgiens on eu tort de l’amputer, que sa blessure aurait pu se guérir toute seule. En son souvenir, il m’ont adopté comme « bon camarade », et que dois dire que ça m’arrange, parce qu’il vaut mieux être bien avec les sous-officiers, question corvées, rations de vin et permissions de sortie.

carab2 L’uniforme a bien changé depuis qu’oncle Pierre a quitté le régiment. Ce n’est plus du tout le gros bonnet à poil et l’habit bleu à la française qu’il m’avait décrit. Maintenant, nous sommes plus beaux que des Dieux de l’Antiquité. J’ai un casque bombé en cuivre jaune, surmonté d’une grande chenille rouge écarlate. J’ai aussi une cuirasse dorée qui couvre toute la poitrine et tout le dos, sur un uniforme blanc, avec des épaulettes rouges et un col bleu ciel. C’est un peu lourd à porter, mais je ne suis pas peu fier quand nous traversons la ville, ainsi vêtus, sur nos grands chevaux : tout le monde se retourne pour nous admirer.

carab3 Dans la ville où je viens d’arriver, il y a beaucoup de cabarets, mais je suis tes conseils et j’évite de boire trop souvent, car c’est dangereux. Beaucoup sont tombés malades d’avoir bu de la liqueur d’ici, le schnaps, et l’un de mes camarades de chambrée en est même mort. Donc j’essaye de ne boire que du vin, quand il y en a. D’autres ont attrapé de vilaines maladies à cause des femmes. Alors, je fais très attention là aussi. C’est comme pour les duels au sabre : j’évite de provoquer. Mais quand même, si un hussard me cherche, il finit par me trouver. Tu diras à l’oncle Pierre que j’en ai déjà estourbi deux. carab4

L’exercice est dur, mais il paraît qu’il faut nous préparer à une nouvelle guerre. On parle beaucoup d’entrer en Russie, car le Czar a l’air de vouloir nous faire cocus avec l’angliche.

Tout le monde est très impatient de rentrer en campagne, car la vie à la caserne est monotone et fatigante.

Un lancier polonais m’a dit qu’il fallait faire très attention au froid là-bas, que l’on pouvait mourir gelé debout sans même s’en rendre compte, comme ça, tout d’un coup. Mais il baragouinait dans sa langue, et il était un peu ivre.

carab5 Le brigadier Julliard m’a dit qu’il ne fallait pas s’en faire, que c’était des racontars ; que quand on vient de Lorraine, comme nous, on est bien habitués au froid ; et qu’en cas de besoin, un bon verre de vin à la cannelle suffira pour nous réchauffer. Il a dit aussi que nous serions tous de retour en France avant Noël, ce qu’il tient du chef d’escadron Thauzel en personne.

Surtout, dis à l’oncle Pierre que je suivrai bien ses conseils et que j’essayerai de ramener moi aussi la Croix. Embrasse Papa et les petites sœurs. Ton fils Thomas affectionné.

 

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