Editeur : la Salida n°49, juin à septembre 2006
Auteur : Fabrice Hatem
Une semaine de tango à Barcelone
Barcelone est dans doute l’une des villes européennes qui fait le plus penser à Buenos aires : même atmosphère de port cosmopolite, même langue et mêmes visages, même plan en damier, même passion sans limite des habitants pour le football, même vivacité méditerranéenne, même intensité de la vie nocturne… et aussi la possibilité, bien rare en Europe, de danser le tango tous les jours de la semaine. Quant à l’atmosphère des milongas, elles rappelle « celle de là-bas », avec la qualité de la programmation musicale et de la « mise en scène », le respect du code de la « tanda », les horaires nocturnes des tangueros, la présence d’un noyau de très bons danseurs composée à la fois de jeunes « contemporains » et, fait très original en Europe, de quelques couples de vieux milongueros. En résumé, la ville offre la possibilité de vivre une immersion tanguera complète et authentique sans sortir d’Europe. Quelques repères.
Mercredi. C’est dans un ancien entrepôt de la rue Valencia que s’est installé le Café de los Artes. Une longue entrée bordée d’un comptoir conduit à une salle très spacieuse, très haute de plafonds, avec des murs de brique à chaude teinte rouge sombre. Toni Barber y anime depuis 3 ans une milonga plutôt jeune et branchée, où des débutants drainés par un cours d’initiation côtoient des danseurs plus confirmés, souvent d’origine latino-américaine, qui arrivent après 23 heures. Le sentiment d’espace, l’hospitalité du grand comptoir en bois qui borde l’un des côtés de la salle, l’attitude plutôt ouverte envers le visiteur étranger créent un sentiment de bien-être et favorise les rencontres.
Jeudi. La maison de la région de Valence ou Casa de Valencia occupe 2 étages d’un bel immeuble bourgeois sur la rue Corcega, une avenue chic du centre de Barcelone. On y rentre par un grand vestibule, qui donne accès à une salle de restauration très calme, aux murs dessiné en arcades, comme dans le patio d’une auberge du sud de l’Espagne. Après un diner très correct, qui permet d’attendre agréablement la fin du cours donné par Antonia Barrera, on pénètre dans ce qui tient lieu de milonga : une grande salle des fêtes, très spacieuse, aux murs peints de jolies couleurs pastel et ornée de beaux rideaux aux teintes ocre. Sur un côté, une petite estrade peut accueillir un orchestre. Est-ce le soin mis au à la décoration des tables qui bordent la piste, la lumière intime et chaude diffusée par les bougies allumées au début de soirée par la maîtresse des lieux ? On se sent vite détendu et serein, d’autant que la ronde du bal est bien respectée par les danseurs.
Vendredi. Le studio Entredós est niché au deuxième étage d’un vieil immeuble un peu décrépit, dans la petite rue Mare de Deu, en face d’un charmant marché couvert. Nous sommes ici à deux pas du Métro Joannic, dans un vrai quartier populaire à l’authenticité préservée, loin de l’effervescence touristique des ramblas. L’espace se présente comme studio de danse spacieux et agréable, avec son beau parquet de bois, ses barres de répétition, ses grands miroirs. C’est là qu’Olga et Carlos animent la milonga El Desbande, qui accueille une clientèle de jeunes noctambules découvrant le tango avec enthousiasme et décontraction. Lumière tamisé, bougie sur les tables, et, dans un coin un petit bar bien chaleureux, permettent aux vieux routards du tango de passer une soirée agréable en jouant les pygmalions auprès de jeunes danseuses aux pas encore parfois timides mais si avides de progresser……
Samedi. Du côté du métro Fontana, derrière le Paseo de Gracia, se trouve un quartier populaire en voie apparente de « gentrification », où les vieilles épiceries reconverties en bar à tapas accueillent le samedi soir la jeunesse branchée de la ville. C’est dans une petite rue bien cachée, que la Milonga La pantera rosa, animée par Dan et Ruben, ouvre ce jour-là ses portes aux tangueros, dans une école de danse située au rez-de- chaussée d’un vieil immeuble de la Call Berga. La longue piste rectangulaire tient à la fois de la salle de répétition, avec ses grands miroirs aux murs, et du club social de quartier. A l’une des extrémités, une sorte de grand baldaquin un bois offre un refuge protecteur à quelques tables blotties dans la pénombre et tempère la relative austérité du lieu. L’atmosphère ressemble plutôt à celle d’une pratique décontractée qu’à celle d’une milonga très formelle. Il y a de bons danseurs, avec parfois une tendance à privilégier la prouesse technique par rapport à l’intimité du sentiment.
Dimanche. Situé au premier étage d’un immeuble bourgeois du Paseo de Gracia, l’avenue la plus large et la plus somptueuse de la ville, La milonga Do 7 a 9 occupe la plus vaste des deux salles d’un club social qui accueille simultanément des joueurs de bridge. La milonga du dimanche – et, dans une moindre mesure, la pratique moins fréquentée du mardi -, animées par Teresa et Josep, accueillent visiblement les meilleurs tangueros de la ville. Certes, le fond de la clientèle est un peu plus âgé que la moyenne des autres lieux. Mais – fait qui distingue Barcelone des autres villes européennes – une bonne partie de ces vieux danseurs sont en fait des milongueros assez expérimentés, qui tiendraient leur place avec honneur dans un bal de Buenos Aires. La disposition des tables autour de la piste, le respect des règles de la tanda (cabeceo mis à part), l’intériorité de la danse et la fluidité de la ronde, créent les conditions d’un bal de grande qualité. C’est sans doute pourquoi les meilleurs parmi les jeunes danseurs de la ville fréquentent avec assiduité ce lieu où il leur est possible, à travers un sympathique mélange des générations, de recueillir l’expérience de leurs aînés.
Lundi. Claudio Frost est visiblement un homme de goût. Il y a quelques années, il avait déniché, en plein cœur du Barrio Gotico – la vieille ville de Barcelone – une incroyable bonbonnière, qui, avec des lambris dorés, son lustre de cristal, sa mezzanine ornée comme une loge de théâtre à l’italienne, ses portraits de maître accrochés aux murs, et ses fauteuils Louis XV, ressemblait davantage au boudoir d’une marquise du XVIIIème siècle qu’à une milonga ordinaire. L’endroit étant désormais indisponible, Claudio nous a simplement fait changer d’époque, en choisissant pour cadre de sa nouvelle Milonga maldita une sorte de club anglais, dont le bar, tout habillé de bois foncé, ressemble à un musée dédié à … Sherlock Holmes. L’adresse est superbe : les fenêtres donnent sur la Plaza Reial, une grande place à arcade de style néo-classique construite au XVIIIème siècle, et éclairée par des lampadaires dessinés par l’architecte Gaudi lui-même. La pièce réservée aux tangueros – qui côtoient dans ce lieu une clientèle de noctambule « généralistes » – est un peu exigüe. Elle accueille des danseurs jeunes, de niveau hétérogène, dans une ambiance feutrée, A Media luz. Une occasion agréable d’associer pratique du tango et déambulation touristique dans le vieux Barcelone.
Mardi. Nous retrouvons Carlos et El Desbande au club Corte, un bar de nuit en haut de la Rambla, tout près de la plaza de Catalunya. L’animateur fait de grands efforts pour donner vie à ce lieu malheureusement un peu exigu, un invitant presque chaque semaine de petits orchestres « live ».
En résumé : Barcelone est une ville fantastique, y compris pour le tango, avec une communauté locale active, constamment stimulée par la venue de visiteurs extérieurs qui amènent nouveauté et variété. N’hésitez pas à y passer comme moi une semaine, vous ne le regretterez pas.
Fabrice Hatem
Pour connaître les horaires des milongas de Barcelone : www.barnatango.com