Editeur : La Salida n°49 , juin à septembre 2006
Auteur : Fabrice Hatem (propos recueillis par)
La beauté dans la danse selon Pedro et Tatiana Lombardi
Ce qui m’émeut le plus, c’est le sentiment de l’authenticité. Je préfère une simple Media luna pleine d’âme à une super-figure sans sentiment. J’aime ces instants un peu suspendus, qui donnent une impression de magie. Mon but en tant que photographe est de capter, de fixer ces instants fugaces afin des partager. Bien sur, l’équilibre du cadrage, la maîtrise du corps jouent un rôle dans la qualité esthétique des photos, mais ce qui guide mon choix, c’est le message envoyé par la photo, même si celle-ci n’est pas parfaite, est floue, etc. Par exemple, dans l’invitation au tango (voir photo ci-contre), il y a en premier plan une fille et un garçon qui se regardent et à gauche, au second plan, un couple qui danse. C’est une image imparfaite, mais c’est exactement ce que je veux rendre du tango ; elle saisit cet instant fugace de la rencontre, du désir naissant. Cela, aucune photo posée ne pourra le rendre. Ce que j’essaye de monter aussi, c’est le point de bascule, de gravité, entre l’intérieur et l’extérieur. Comme le dit ma sœur Ana Karina, quand ou danse on est à la fois à l’intérieur de son couple et à l’extérieur, en sachant parfaitement que l’on est regardé.
Tatiana Lombardi : un sentiment fusionnel
La beauté, dans la danse de bal, ce n’est pas la maîtrise parfaite du corps comme dans la danse professionnelle : c’est l’harmonie avec la musique, l’investissement dans et par la musique. La spontanéité est alors presque plus importante que la technique. La beauté est liée à l’authenticité, au fait de se « lâcher », d’éprouver à la fois un sentiment de plaisir et de fusion avec le monde extérieur. Et quand on arrive à ce sentiment fusionnel, les autres le voient.
La beauté est donc liée au caractère extatique de la danse. On peut voir celle-ci comme un chemin vers la connaissance, le fait de se donner entièrement, de rentrer en osmose avec la musique. C’est l’homme et la femme dénudés, c’est l’une des seules fois où tu peux voir l’intérieur de l’être. Et quand tu touches ce point-là, cela te donne aussi un maximum de plaisir que tu vas transmettre aux autres.
Le fait de danser avec quelqu’un d’autre te donne une énergie décuplée et un plaisir encore plus grand dans l’harmonie avec toi-même. Car la danse se partage, c’est la façon la plus belle d’échanger, de communiquer, comme dans les tribus africaines où elle est l’expression la plus primitive du partage. En France, il manque cette habitude de partager, d’être ensemble. En ce sens la pratique du tango m’apparaît comme un formidable travail de développement personnel et d’ouverture.
Propos recueillis par Fabrice Hatem