Editeur : La Salida °43, avril-mai 2005
Auteur : Maria del Carmen Stefanelli
Osvaldo Pugliese: un grand du tango
Un enfant de Villa Crespo
Osvaldo Pugliese naquit le 2 décembre 1905 à Villa Crespo, dans un faubourg de Buenos Aires. Ce quartier, qui le vit grandir, s’était progressivement développé autour d’une usine de chaussures. Son père travaillait le cuir, une métier de famille puisque son grand-père avait lui-même été bottier. Sa mère, une femme très humble, comprit très tôt que son fils avait des facilités pour la musique, quant elle le vit jouer au piano des petits mroceaux qu’il composait lui-même.
Il appartenait donc à une famille ouvrière de ce quartier de Villa Crespo qu’il aima tant. Il disait toujours : " mon quartier, comme beaucoup d’autres, était un grand réservoir de musique populaire. On sortait de sa maison, on allait au café et on était sûr de tomber sur un trio, un quartet ou un chanteur de tangos..".
Il trouva tout dans son quartier : famille, amis, sécurité, sentiments. Et c’est pour cela qu’Osvaldo Pugliese fut, est et sera un artiste du peuple. Son art, la musique de tango, n’existe que par et pour le peuple. Et Osvaldo Pugliese, non seulement dans sa musique, mais aussi dans sa vie, a incarné le peuple.
Ses débuts musicaux
Depuis son enfance, il ressentit une inclination pour la musique, d’abord au violon, puis au piano. A quatorze ans, il fit ses débuts au café "La chancha" et, depuis cette lointaine époque, il n’arrêta pas de travailler, de parcourir les chemins de la vie en apportant dans chacun des lieux qu’il visitait la musique de sa ville. Il disait de lui-même qu’il était "un ambassadeur, un diplomate argentin sans carte de visite", quand il voyageait à l’étranger.
Dans les premiers temps de sa jeunesse, il intégra différentes formations musicales, des duos, des tríos, des sextets, qui jouaient dans différents cafés de la rue Corrientes. Il fit également quelques tournées dans l’intérieur du pays et joua dans les cinéma pour accomagner les fims muets de l’époque. Mais, quand arriva le cinéma sonore, et avec la crise économique qui frappait le pays à cette époque, le travail se fit rare. Les formations orchestrales duraient peu de temps et celles où travaillait Osvaldo Pugliese ne firent pas exception à cet règle. Lui même parcourut les rues à la recherche de travail, jusqu’à ce qu’il crée en 1939 son propre orchestre qui débuta le 11 août au café "El Nacional".
Le tango de Pugliese
Des deux aspects, bien distincts, que possède le tango, le mélodique et le rythmique, Osvaldo Pugliese choisit le second, qui est plus propre à la danse, et fut toujours fidèle ensuite à cette orientation. Il disait : "le tango possède selon moi une caractéristique qui lui vient de l’influence du folklore de la pampa. Celle-ci se traduit musicalement a travers une forme d’étirement qui fut d’abord appliquée par Julio de Caro, et ensuite par Carlos Di Sarli et par mon orchestre. De Caro accentua l’accentuation du premier et troisième temps avec dans certains cas un étirement. Nous autres introduisîmes une combinaison entre le premier temps, le troisième et l’étirement percussif qui le suit. Cette combinaison d’accentuation percusive et d’étirement donna au tango une force qu’il n’est pas possible d’atteindre même en incorporant des instruments extérieurs, comme la batterie, les instruments à piston ou le trombone(…). Il n’a toujours semblé très clair que le tango est un mélange de couleurs citadine et campagnardes et que son ABCD doit être cherché dans les compositions de Eduardo Arolas, de Agustín Bardi, de Juan Carlos Cobián et des De Caro (Julio et Francisco) qui constitutèrent le point culminant d’une étape. Tout ce que j’ai fait a été de poursuivre ce chemin sans perdre de vue les sources, car selon moi le tango exige de la continuité".
Osvaldo Pugliese avec son orchestre complet, formé de quatre bandonéons, quatre violons, un alto, une contrebasse et un piano connut un brillant succès à partir de la décennies 40, riche en poètes et interprétes, à côté de musiciens de grande stature comme Juan D’Arienzo, Carlos Di Sarli, Aníbal Troilo. Il respectait et admirait ses contemporains.
Un artiste du peuple
Il aimait toutes les formes de musique. Il exécutait des oeuves classiques tous les jours : Chopin, Ravel, Debussy, Stravinsky, Prokofiev et Kachaturian… " je les joue lentement pour me faire les doigts " disait-il. Il aimait écouter Beethoven qu’il considerait comme un geant de l‘écriture. Il affirmait respecter les jeunes argentins qui se dédiaient au rock, mais ne partageait pas cette sensibilité. Il pensait que " la jeunesse doit avoir les pieds sur terre, sur sa propre terre, parce qu’il existe là des racines profondes qu’ils ne connaissent pas et qu’ils sous-estiment du fait de leur jeunesse. Le problème n’est pas que la musique plaise ou non. Il est politique. Ce dont il s’agit, c’est de lutter pour qu’un jour on en finisse avec la soumission de la culture populaire…". Il définissait le tango comme un "arbre qui donnera toujours des fruits car il est planté dans une terre fertile : l’âme du peuple".
Il fut persécuté et privé de liberté en différentes occasions du fait de ses opinions politiques, mais malgré cela il n’abandonna jamais le militantisme communiste. Il disait : "je lutte pour une société plus démocratique et juste, où le travail serait une dignité personnelle et non une souffrance" ….
La pensée de Osvaldo Pugliese se reflète dans sa musique et dans son art. C’est pour cela qu’elle est vibrante, inquiète, suggestive, fière comme la vie; Il était ainsi. Il utilisa son orchestre pour s’exprimer et pour interpréter la pensée populaire. En écoutant ses tangos, le peuple se réjouit, palpite, rit et applaudit avec enthousiasme car il sait que celui qui les interprète est un artiste du peuple.
María Del Carmen Stefanelli
Pour en savoir plus sur Pugliese : /2006/04/28/le-musicien-osvaldo-pugliese/