Editeur : La Salida n°42, avril-mai 2005
Auteur : Fabrice Hatem
Mini-anthologie des textes de Pugliese
En tant que compositeur, Pugliese fut essentiellement tourné vers le répertoire instrumental, et accorda moins d’importance que Troilo à l’association entre musique et poésie. Il mit assez peu de poèmes en musique, l’une des exceptions les plus notables étant Barro, sur un texte de Bastera. Symétriquement, peu d’auteurs ont écrit des textes sur ses compositions, à l’exception notable des paroles tardivement ajoutées par Eduardo Moreno au célèbre Recuerdo.
Par contre, en tant que directeur de formation, il donna, comme les autres orchestres de son temps, une grande importance au tango chanté, qui constitue plus de la moitié de son répertoire enregistré. Il intégra sytématiquement des chanteurs dans ses formations, souvent en duo. Parmi les principaux interprètes, on peut citer, par ordre chronologique, Roberto Chanel (1943-1947), qui enregistra notamment Farol (1943), Corrientes y esmeralda (1944), Rondando tu esquina (1945), et Fuimos (1946) ; Alberto Moran (1945- 1954), qui nous a laissé El Abrojito (1945), Cafetín (1947), Cobardia (1950), Pasional (1951) et Barro ; Juan-carlos Cobos (1952-1954), avec San josé de flores (1953), Milonguera (1953) ; Jorge Vidal (1949-1950), avec Isla de Flores (1949), Puente Alsina (1949), Vieja recova, Un baile a beneficio (1950) ; Jorge Maciel (1954-1968) avec Recuerdo (1967) et Cascabelito ; Miguel Montero (1954), qui enregistra notamment Antiguo reloz de cobre, Que te pasa buenos Aires et Acquaforte ; Alfredo Belusi (1960-1964), avec El pescante (1965) ; Abel Cordoba (à partir de 1964), avec Melodia de Arrabla, Almagro, Uno.. ; enfin les chanteuses Maria Graña et Nelly Vasquez.
Son répertoire poétique présente un caractère assez éclectique et parcourt pratiquement tout le siècle. On y trouve des textes remontant aux années 1920 (avec des auteurs comme Caruso, Tagle Lara, Aguilar, Fernandez Blanco) et 1930 (Flores, Marambio Catan, Le Pera, Gaudino), des œuvres des années 1940 souvent signées par des poètes majeurs (Cadícamo, Manzi, Discépolo, Expósito…), enfin des textes plus contemporains datant des années 1950, 1960 et au-delà (Tinarni, Solo, Tavera…). Pugliese chercha en effet en permanence à renouveler son répertoire chanté, en intégrant, à côté d’auteurs déjà reconnus à l’époque, des poètes plus jeunes ou plus contemporains.
Nous proposons ici les traductions de quelques-uns de ces textes, choisis à la fois pour leur rôle-clé dans le répertoire de Pugliese et -surtout – pour leur valeur poétique. Puente Alsina évoque de manière déchirante la disparition d’un vieux faubourg dévoré par l’expansion urbaine ; Acquaforte est le monologue amer d’un tanguero vieilli, mais aussi révolté par l’injustice sociale ; Corrientes et Esmeralda fait revivre en une langue puissante les figures du monde de la nuit tanguera, depuis les humbles milongueras de faubourg jusqu’aux grands poètes qui les ont souvent chantées ; Rondando tu esquina évoque avec une grande efficacité le sentiment obsessif de la perte amoureuse. Enfin, nous proposons trois textes de Homero Expósito, qui sont autant de variations sur le thème de la nostalgie : celle de de l’amour de jeunesse (Yuyo Verde), celui du passé qui disparaît peu à peu des mémoires (Farol), enfin celui de l’émigrant déraciné (Cafetín). La référence fréquente, dans ces textes, à des problématiques sociales (l’exploitation dans Acquaforte, la misère dans Puente Alsina, l’immigration dans Cafeíin, le dévoiement des filles pauvres dans Corrientes y Esmeralda, le faubourg ouvrier moderne dans Farol) n’est évidemment pas due au hasard : elle nous rappele effet que Pugliese fut un militant progressiste.
Fabrice Hatem
Pour en savoir plus sur Pugliese : /2006/04/28/le-musicien-osvaldo-pugliese/