Editeur : La Salida, n°37, février-mars 2004
Auteur : Fabrice Hatem
La Cancion de Buenos Aires
La Cancion de Buenos Aires n’est pas le premier texte écrit par Manuel Romero sur le thème de la nostalgie de la patrie lointaine, puisqu’il fut précédé, en 1923, par Buenos Aires, une chanson portant à peu près sur le même thème. Mais l’espoir du retour l’emporte ici sur la peur d’une perte définitive de la patrie ou plus exactement de la ville aimée, dominante dans le texte de 1923. L’opposition entre ces deux sentiments contraires constitue d’ailleurs un trait dominant du thème du voyage, très présent dans la chanson de tango.
Celui-ci y est en effet, indissociablement associé à l’exil, à l’éloignement et la nostalgie. Rares sont en effet les tangos, comme Ave de paso (Cadícamo, 1936), qui associent le voyage à des perspectives positives, comme l’espoir, la découverte, l’aventure ou l’amour. Dans la plupart des cas, les textes nous présentent le tanguero voyageur sous les traits d’un argentin exilé, qui n’a connu qu’amertume et déceptions. L’évocation du lointain Buenos Aires, paré de toutes les vertus, souvent personnifié sous les traits d’un démiurge bienfaisant auquel le poète adresse une sorte de prière d’amour et de vénération, permet alors de mettre en relief, par contraste, la mal-être de l’exilé. Celui-ci est teinté de désespoir si le retour paraît impossible, comme dans Anclao en Paris (Cadícamo, 1931), Buenos Aires (Romero, 1923) ou La que murió en Paris (Blomberg, 1930). Au contraire, la perspective du retour, si elle paraît envisageable, fournit au locuteur une lueur d’espoir, comme dans Melodia de Arrabal (Le Pera, 1932) ou La cancion de Buenos Aires. Encore cet espoir risque-t-il d’être lui-même déçu lorsque ce retour se produit, le personnage étant alors submergé à cette occasion, comme dans Volver (Le Pera, 1935), ou La Casita de mis viejos (Cadicamo, 1931), par le flot amer des souvenirs de ses amours manquées et de sa jeunesse perdue. C’est à croire que les tangueros, peuple d’éternels déracinés, portent en eux-mêmes un sentiment permanent d’exil et de manque, dont seule l’expression extérieure se modifie en fonction des lieux et des circonstances !!
La Cancion de Buenos Aires est très liée à la chanteuse Azucena Maizani. De retour de tournée en Europe, celle-ci l’interpréta pour la première fois le 23 septembre 1932, au théâtre de la Comédie, dans une pièce homonyme de Manuel Romero. L’oeuvre reçut un accueil chaleureux du public et de la critique, inaugurant ainsi une carrière de succès jamais démentie. Elle fut l’année suivante portée au cinéma dans le film Tango (1933) de Luis Moglia Barth, où il est interprété par une Azucena Maizani vêtue en homme.
La chanson fut ensuite enregistrée par de nombreux interprètes, comme Carlos Gardel, Nelly Omar, Virginia Luque, Hector Maure, Renata Falasca, Ruben Juarez, et bien sur, Azucena Maizani. Elle a également fait quelques autres apparitions au cinéma, notamment dans El tango vuelve en Paris, où le chanteur Alberto Castillo est accompagné par Anibal Troilo.
Manuel Romero (1891-1954) fut une personnalité très prolifique de la scène artistique de Buenos Aires : à la fois journaliste, essayiste, auteur de chanson et cinéaste, il travailla avec les plus grands poètes et chanteurs de tango, comme Pascual Contursi et Carlos Gardel. Il fut l’un des piliers du cinéma argentin des années 1930 et 1940, dirigeant de nombreux films où les fréquentes références au tango alimentent une vision pénétrante de la culture et de la société argentines, comme Los Muchachos de ante no usaban gomina, Fuera de la Ley, La vida s un tango, etc. Il écrivit lui-même plus de100 tangos, souvent repris dans ses saynètes et ses films, comme Tiempos Viejos, Patotero Sentimental, Aquel tapado de arminio, Como se pasa la vida, la Cancion de Buenos Aires…
Fabrice Hatem
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