Editeur : La Salida n°19, juin-septembre 2000
Auteur : Fabrice Hatem
Parfum de femme : La Salida retrace pour vous les itinéraires de quelques tangueras de France
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Carmen Aguiar et Victor aux Trottoirs de Buenos-Aires
Un soir de 1989. Le rideau vient de se baisser sur Tango Argentino. Une jeune femme se précipite dans les coulisses pour demander où elle peut apprendre le tango. Nathalie Clouet vient d’avoir le coup de foudre. Comme elle, toute une génération de danseurs contemporains et d’artistes va succomber à l’appel du tango au début des années 1990. A Marseille, Josette Pisani fonde en 1990 avec 8 amis, orphelins comme elle de leur unique professeur Alicia Quintos, Les trottoirs de Marseille pour organiser stages et pratiques. A Montpellier, Nelly Gentot, après une première expérience à New York dans les années 1970, redécouvre en 1992 le tango à un spectacle de la troupe Tangueando. A Paris, Bernie Donneux suit une rééducation après un grave accident qui l’a éloignée de la scène, quant son amie Catherine Berbessoux, déjà convertie depuis peu, l’emmène en 1994 au bal « la Bellevilloise ». « j’y ai découvert une danse de couple qui ouvrait un champ extraordinaire d’expression et d’improvisation à des hommes et des femmes non conformes au modèle du danseur professionnel ». Peu de temps auparavant, Theresa Cunha, danseuse de la troupe Magui Marin, était passée en quelques mois, grâce à l’enseignement de Pablo Veron dont elle devient la partenaire, du statut de débutante timide à celui de vedette. « En 1994, elle a fait une démonstration à la salle d’Erlimont avec Gustavo Naveira, se souvient un témoin de l’époque. Ils n’avaient jamais dansé ensemble, ils ne se connaissaient même pas, mais ils ont dansé superbement. Tout le monde a été bluffé ». Quant à Solange Bazely, venue du monde de l’audiovisuel et de la poésie, c’est aux Allumés de Nantes, en 1992, qu’elle « tombe en tango ».
Les femmes musiciennes ont été également touchées par l’épidémie, comme Christine Chazelle, élève au conservatoire de musique de Paris, qui se retrouve un soir de 1993 aux Trottoirs de Buenos Aires pour écouter le trio Hugo Diaz : « j’ai trouvé dans le tango une esthétique plus proche de ma sensibilité que le classique ou le jazz « . Résultat : la formation d’un groupe de tango avec la bandéoniste Véronique Riou et la violoniste Anne le Corre, puis un séjour d’un an à Buenos Aires, où Anne vient bientôt la rejoindre.
Mais d’autres ont fait le chemin inverse : arrivent, en effet, en France, à la même époque, quelques artistes argentines, qui, elles, tombent amoureuses de Paris au point de s’y fixer. C’est le cas de la danseuse Bibiana Guilhamet, venue en France en 1991 pour un séjour de 15 jours avec son mari Coco Diaz, et qui y est toujours aujourd’hui, ayant entretemps acquis la nationalité française. D’Andréa Bordos. Ou de la franco-argentine Claudia Rosenblatt, qui revient dans le pays de son enfance en 1991 après avoir passé 10 ans an Argentine : elle a entretemps fréquenté tous les milongueros de Buenos Aires et va servir de trait d’union entre eux et la France.
Toutes ces adeptes vont contribuer, chacune à leur manière, à la structuration de la scène française du tango. Côté spectacle, Catherine Berbessou crée en 1996, avec sa compagnie Quat’zarts, A fuego lento, spectacle associant tango et danse contemporaine. Côté danse de couple, Nathalie Clouet, après avoir assisté Pablo Veron, se lance dans l’enseignement et l’organisation de bals, d’abord à la Bellevilloise, puis à partir de 1996 au Tango (« le Bal est l’essence même du tango », dit-elle). Claudia Rosenblatt choisit pour sa part des lieux « non conventionnels », un peu underground, comme la Flèche d’or puis l’espace Oxygène, qui drainent un public jeune et « branché ». Josette Pisani, outre l’enseignement et les bals, organise des spectacles à Marseille, : Nuits des docks, Fiesta du sud, collaborations avec la maison de la Poésie et le Festival de Marseille. Solange Bazely, après avoir participé aux activités du Temps du tango, s’occupe de plus en plus de la promotion des artistes – musiciens et danseurs – qu’elle suit pas à pas et qui, comme Juan José Mosalini ou Sandra Rumolino, lui témoignent amitié et confiance.
Mais au fait, qu’y avait-il avant 1990 ? Depuis 1985, les Trottoirs de Buenos Aires, fondé, entre autres, par Suzanna Rinaldi, contribuent à éveiller l’intérêt du public parisien pour le tango. La programmation est prestigieuse : Sexteto major, Suzanna Rinaldi. Carmen Aguiar qui y enseignait à l’époque, se souvient : « c’était merveilleux, un bout d’Argentine à Paris. Le vrai spectacle de Tango Argentino se déroulait là, au comptoir et sur la piste, avec Virullazo et les autres artistes, après Mogador ». Mais c’était aussi un tout petit milieu, très convivial « Il y avait la MJC de Saint-Cloud, Les Trottoirs, le Latina un peu plus tard, la pratique de la Maison Verte fondée par Michele Rust en 1992, et c’est tout », se rappelle Claudia Rozenblatt. Parmi les « précurseuses » de l’époque, on peut notamment citer Fabiana Basso, Lia Nanni, Gisela Graff, Suze et Charlotte, Claudine Mathieu-Gau, Micheline Charmont, Sandra Rumolino, Catherine de Rochas, et bien sûr, Michèle Rust.
Revenons aux cinq dernières années. Le tango draine un public de plus en plus nombreux, grâce à l’action énergique des militant(e)s de la première heure. Certes, les Trottoirs ont fermé, mais, de nouveaux lieux sont apparus. Le Latina devient un haut lieu du tango parisien, sous la houlette accueillante d’Isabelle de la Preugne, à la fois professeur, patronne, serveuse, danseuse, animatrice….
Apparaissent aussi de nouvelles figures, qui, en peu d’années vont devenir incontournables. Dans le domaine associatif, Francine Piget, après avoir débuté en 1996, rejoint en 1997 l’équipe du Temps du tango dont elle devient l’un des piliers. A Montpellier, Nelly Gentot fonde Tango Panaché avec son partenaire René en 1998. Nathalie Vigier à Bordeaux, Micheline Gerles à Nantes, Nathalie Bultez à Montpellier, Valérie Lafore à Marseille, s’impliquent également dans le vie associative et l’enseignement.
Côté musiciennes, Christina Küusisto arrive de Finlande à Paris en 1995 pour achever ses études d’accordéon. Elle tombe amoureuse du bandonéon. Mais où trouver un instrument si rare ? Un article de Libération, lu à la dérobée dans le métro, l’amène vers Mosalini dont elle suit les cours pendant plusieurs jours au conservatoire de Gennevilliers. Quelques semaines plus tard, celui-ci la rappelle : on lui a trouvé un bandonéon ! ! ! L’aventure peut commencer…
Les jeunes danseuses argentines sont également de plus en plus nombreuses à s’installer à Paris C’est le cas de Victoria Vieyra, qui arrive d’Argentine en 1997 pour devenir la partenaire de Pablo Veron. De Sol Bustello, de Silvina Valz, de Sandra Messina. Ou encore de Moira Castellano, arrivée en 1998 à l’appel de Imed Chemam : « J’ai trouvé en Europe un climat de liberté qui permet à la danse d’évoluer et d’innover sans être pris dans le contraintes de la tradition ». Et de bien d’autres encore.. Toutes ces femmes sont pleines de projets. Kristina Küusisto vient de fonder un quartet féminin, Las Malenas, avec Pascale Guillard, Michèle Wittendall, et Gabriela Quel. « Nous voulons voir ce que peut apporter une sensibilité féminine à l’esthétique d’une musique jusqu’ici interprétée et composée presque exclusivement par des hommes ». Au répertoire : du tango traditionnel, mais aussi du Piazzolla et des tangos nouveaux commandés à une compositrice finlandaise. Anne le Corre, qui a fondé le trio La Murga avec son époux Fernando Maguna, veut explorer les interactions entre musique et danse vivantes. Solange Bazely consacre désormais tout son temps à la promotion des artistes argentins : « ma motivation essentielle, c’est de faire partager le bonheur d’écouter cette musique ». Parmi ses projets, un grand festival en 2001, en collaboration avec le conservatoire de Musique de Paris, dans le cadre du cycle musiques du monde. Catherine Berbessoux, en résidence pendant pendant 6 mois avec sa compagnie au Théatre des Gémeaux en 1999, y a créé son nouveau spectacle, Valser, et y a récemment tourné un film, Intrusion, sous la direction du metteur en scène Sébastien Jaudeau. Bibiana Guilhamet veut œuvrer pour un enseignement du tango plus ambitieux, où l’élève puisse découvrir, au dela de la danse, tous les aspects de la culture tanguera. Nouvelle recrue, l’écrivain(e) Lydie Salvaire a écrit pour Camilla Saraceni le texte de son nouveau spectacle Pas de deux : « Nous aimons le tango. Mais nous voulons que les amants y soient vivants, qu’ils se cherchent et se perdent sans devoir en mourir ».
Fabrice Hatem