Editeur : La Salida, n°41, décembre 2004-janvier 2005
Auteur(s) : Martine et Felipe
Installés en Espagne, les danseurs Julio Luque et Veronica Guide y ont rencontré plusieurs musiciens vétérans des grands orchestres de tango de la grande époque. Il ont eu l’idée de les réunir pour former un Quintet, le Rayuela Tango Orquesta, capable de faire revivre la grande tradition des orchestres de bal. La formation s’est produite pour la première fois en Août dernier au festival de Tarbes. Nous avons eu un grand plaisir à l’écouter et à danser sur sa musique. Et aussi à rencontrer des musiciens d’une telle dimension, aussi bien artistique qu’humaine. Nous vous proposons ici les témoignages de quatre d’entre eux.
German Ojeda, 78 ans, est installé en Espagne depuis 1987, est le violon de la formation. il a commencé à prendre des cours de violon, à sa demande, à 7 ans. « J’ai vite commencé à jouer du tango de bal, au fin de semaine dans les nombreux salons de ce temps-là (les années quarante), dans les orchestres de quartier. J’ai aussi été violoniste d’Orchestre au Teatro Colon et directeur de l’Orchestre Municipal de Rosario.
« A partir de 1962, j’ai travaillé dans le Sexteto d’Eduardo Rovira pendant trois ans ; c’était merveilleux. Rovira était musicalement très novateur avec ses tangos modernes dodécaphoniques. Mais sa musique n’a pas eu de répercussion populaire, car elle était trop compliquée et non dansable. Ma plus longue collaboration est celle avec l’orchestre de Alfredo de Angelis (le maître au piano, 4 bandonéon, 4 violons, contrebasse). A partir de 1963 et pendant 13 ans, j’ai fait de nombreuses tournées avec cet orchestre, dont le style est caractérisé par la prédominance des violons. La Pavadita est l’un de ses tangos emblématiques.
Ma première expérience avec cet orchestre s’est pourtant mal passée. Tous les musiciens jouaient par cœur, sans aucune partition. Quand je suis entré dans l’orchestre, ils me dirent « Pibe (diminutif courant en Argentine), tu ne peux pas jouer avec les partitions, il faut que tu joues par cœur ! » Trois jours après devait avoir lieu ma première intervention. On me cacha alors derrière un bandonéoniste, avec un pupitre sur lequel je posai tranquillement mes partitions ! Jouer de mémoire donne beaucoup plus de liberté, cela permet de regarder les autres musiciens, surtout au moment des silences et des attaques. Les musiciens sont aussi plus attentifs aux danseurs pour lesquels ils jouent ».
German Ojeda a également joué avec beaucoup d’autres orchestres : Jorge Caldara, Armando Pontier, Hector Varela, Leopoldo Federico, Jorge Libertella et Beba Pugliese.
Orlando Dibello, 59, arrivé en Espagne depuis seulement 3 ans, est le bandonéon de l’orchestre. « A l’âge de 14 ans, j’ai intégré le cuarteto de Roberto Firpo (Fils), un des précurseurs du tango et l’auteur de « El amanecer ». Il m’a demandé de jouer debout comme lui ! C’est difficile parce que c’est lourd, un bandonéon ! La courroie te passe sur les doigts, ça limite un peu leurs mouvements. Mais c’était plus visuel aussi. Nous étions installés sur scène, en demi-cercle, nous pouvions constamment nous voir et regarder le public : cela aide pour l’unité de l’orchestre et pour la qualité musicale. Puis j’ai travaillé à 20 ans avec l’orchestre de José Di Basso. Un jeudi, on m’a demandé d’apprendre 50 thèmes pour le samedi suivant ! Je les ai tous étudié, alors que 15 étaient suffisants, c’était une blague de mes collègues musiciens ! ! ! Je suis arrivé avec mes partitions le samedi, les autres n’en avaient pas. Tous le monde jouait de mémoire. Il faisait une chaleur terrible. Il y avait un ventilateur très lent. Quand il a tourné vers la scène, toutes mes partitions se sont envolées ! ! ! Je ne savais plus rien, il y en avait plein la piste, j’étais tout rouge, tout le monde riait…
A l’époque, il y avait beaucoup d’orchestres qui y jouaient, des grands orchestres, avec 4 bandonéons, 5 violons, contrebasse, piano, 2 chanteurs, l’assistant pour le matériel (« el plomo ») etc… Le dimanche, ça commençait à midi et ça continuait tard dans la nuit, pour les bals. Ce fut une grande et belle époque, les années 58, 60… »
Orlando Dibello a également travaillé avec les chanteurs, Jorge Casal, Jorge « Chiqui » Pereyra et Silvia Del Rio. Il a participé à de nombreux évènements musicaux, comme le Festival International de Grenade et le festival d’Alcantarilla.
Salvador Soteldo, 73 ans, est le contrebassiste. Il vit en Espagne où il dirige, entre autres activités artistiques, le groupe de tango de la chanteuse vénézuelienne Dalila Colombo. « J’ai commencé à jouer de la contrebasse à 9 ans. Mon père et ma mère étaient musiciens à Caracas, au Venezuela. Je jouais la musique traditionnelle de mon pays, du folklore vénézuélien comme les Hojopos (rythmes de 3/4 sur un tempo rapide). J’ai joué en Argentine de 1951 à 1954, et j’y ai découvert le tango. Je travaillais dans des orchestres de variété, et étais très curieux de savoir comment se jouait cette musique. C’est une des musiques latino américaine les plus importantes et les plus intéressantes, par sa richesse culturelle, mélodique, musicale et littéraire. Mais c’est aussi ce qui la rend difficile à jouer. Il faut vraiment pour cela s’approprier un peu de l’Argentine et de sa culture ».
Marcelo Raigal est le pianiste, l’arrangeur et le directeur de l’orchestre. Il vit depuis 4 ans en Espagne. De formation classique, il s’est intéressé au tango dès l’âge de 13-14 ans. « J’ai commencé à travailler dans les cabarets de Rosario. Je jouais même pour accompagner des strip tease !!! J’étais très jeune, et le patron avait peur que la police me voit. S’il arrivait qu’elle vienne, je devais dire que j’étais le cousin en visite. Puis J’ai accompagné des chanteurs comme Hector Mauré et Chola Luna : extraordinaire ! C’est la première chanteuse qui m’a fait pleurer pendant que je jouais. A 17 ans, j’ai formé mon premier groupe, Quinteto de Vanguardia. Plus tard, j’ai joué avec l’Orchestre de Domingo Federico, l’auteur de « Yuyo verde », de « Percal » etc…Un grand musicien et un grand ami. C’était en 1970 ».
Je suis actuellement le directeur de l’Orchestre, Rayuela Tango Orquesta. . « Rayuela » est un nom qui a 2 origines : la 1ère, c’est la nouvelle de Julio Cortazar, qui se réfère au jeu de la marelle. La 2ème origine, c’est un tango qui s’appelle « Rayuela ». L’idée est partie d’une conversation avec Julio. Tous ces musiciens d’expérience réunis en un seul groupe, c’est fabuleux. Ils ont conservé la fraîcheur et la passion pour la musique qu’ils transmettent aux plus jeunes. Nous essayons de trouver un style original pour la danse, sans copier un orchestre particulier. Le temps dira si nous y sommes parvenus ! »
Propos recueillis par Martine et Felipe
Pour contacter l’orchestre : www.julioyveronique.com