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Autour d'un tango : poème commenté

Por la vuelta

cadicamo1 Editeur : La Salida, n°38, avril-mai 2004

Auteur : Fabrice Hatem

Por la vuelta, de Enrique Cadicamo

Directement inspiré d’un épisode de la vie sentimentale du poète, Por la vuelta est très représentative, par sa thématique comme par son style, de l’œuvre de Cadicamo. Celui-ci nous propose en effet une poésie essentiellement intimiste, dont l’action – si l’on peut dire – se déroule souvent dans l’univers privilégié des riches noctambules et du cabaret. Les aléas des liaisons sentimentales – et tout particulièrement la rupture amoureuse – en constituent un thème récurrent.

Mais les personnages de Cadicamo, s’ils éprouvent souvent la douleur et la nostalgie, présentent par rapport aux autres figures masculines de la poésie tanguera une importante différence. Il ne s’agit pas en effet, comme chez Flores ou Contursi, de pauvres hères vaincus par la vie, noyés dans le chagrin d’un abandon ou d’une séparation irréparable, taraudés par la jalousie et le désespoir. Le locuteur de Cadicamo, celui qui parle à la première personne dans ses textes, est en effet un peu à l’image du poète : un dandy élégant, maître de ses affects et de ses comportements, capable de dialoguer calmement avec sa partenaire féminine, d’écouter ses paroles et de comprendre son état d’esprit. Comme Los Mareados, Por la vuelta met ainsi en scène, non le monologue solitaire d’un amant abandonné, mais le dialogue doux-amer d’un homme et d’une femme confrontés à la même douleur de l’amour perdu. Cette place importante donnée aux personnages féminins, qui, même lorsqu’ils sont tournés en dérision comme dans Che Papusa, Oi ! ou dans Margot, existent par eux-mêmes, avec leur volonté et leurs sentiments propres, indépendamment du pathos masculin, constitue également un trait caractéristique des tangos de Cadicamo.

On a beaucoup reproché à Enrique Cadicamo, de manière plus ou moins directe, des emprunts plus que conséquents à la poésie de Paul Geraldi. Il est vrai que la lecture parallèle du poème Adieu de l’auteur français et de Los Mareados ou de Por la vuelta fait apparaître de lourdes similitudes. Mais même si l’indélicatesse, volontaire ou non, est possible, n’est-ce pas le mérite de Cadicamo d’avoir fait pénétrer dans la chanson tanguera l’influence de la « poésie cultivée » française, et d’avoir ainsi donné à certaines jolies formules de Géraldi, aujourd’hui complètement oubliées dans notre pays, une résonance plus large et plus durable ?

Quoi qu’il en soit, Por la Vuelta s’inscrit également dans tradition typiquement tanguera de ce qu’on pourrait appeler la poésie commémorative. Celle-ci met en scène le souvenir d’un évènement passé, en général une rupture ou un décès, qui a mis fin à une période de bonheur et plongé le locuteur dans une irrémédiable tristesse. Sus ojos se cerraron, Donde Estas Corrazon, et dans une moindre mesure Nueve de Julio constituent quelques-uns des exemples les plus connus de cette forme littéraire. Dans Por la vuelta, celle-ci est même mise en œuvre au second degré, puisque le souvenir porte, non sur la rupture elle-même, mais sur la rencontre des deux protagonistes, unis une dernière fois dans le souvenir de leur amour passé, un an après la fin de leur liaison. Nostalgie de la nostalgie, souvenir du souvenir : une poésie tanguera à la puissance deux, en quelque sorte, mais introduit en même temps une distance, une retenue par rapport à l’expression directe des sentiments tout à fait caractéristique du style de Cadicamo.

Por la Vuelta fut interprétée pour la première fois sur radio Belgrano en 1938, avec la voix de Chola Bosch accompagnée par l’orchestre de José Tinelli. Les versions vocales les plus célèbres incluent Floreal Ruiz (accompagné par José Basso en 1956), Jorge Valdes (Accompagné par Juan D’Arienzo en 1959, Héctor de Rosas (par le Quinteto Nuevo Tango de Astor Piazzolla en 1962), Susy Leiva (1964), Susana Rinaldi (1977). On peut également citer les interprétations de Jorge Omar (accompagné par Francisco Lomuto), Juan Rosales (accompagné par Alfredo de Angelis), Edmundo Rivero, Raul Lavie, ou Ruben Juarez. Enfin, il existe également des versions instrumentales, parmi lesquelles celles de Osvaldo Berlingieri ou Atilio Stampone.

Fabrice Hatem

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