Editeur : La Salida : n°38, avril-mai 2004
Auteur : Fabrice Hatem
Le temps du tango : 10 ans de bonheur… et d’efforts
Nul n’est prophète en son pays : Marc Pianko, fondateur de La Salida et de la plus grande association française de tango, n’avait jusqu’ici pas eu les honneurs de notre revue. Un souci, sans doute louable, de discrétion et de modestie avait ainsi progressivement conduit à une injustice, que l’anniversaire des 10 ans du Temps du Tango permet aujourd’hui de réparer. Marc nous livre ici le bilan de 10 années d’expérience associative, riche d’anecdotes, mais aussi d’enseignements pour tous ceux qui se lancent dans la même aventure (photo contre, Marc avec Francine Piget).
Comment et pourquoi a été fondée l’association ?
Pour pouvoir travailler dans la légalité. A l’occasion de la fête de la musique de juin 1994, le Grand hôtel du Louvre voulait faire un événement tango. Helio Torres et moi-même avons proposé un projet qui a été retenu : un concert d’Hugo Daniel et Enrique Pascual, avec des danseurs, dont Christophe et Judith. Mais, pour signer un contrat avec les organisateurs de la fête de la musique, il nous fallait avoir une association. Ce projet était déjà dans l’air, et Solange Bazely avait même déjà proposé une liste de noms possibles, dont Le temps du tango. Quand nous avons présenté notre projet aux organisateurs, ils nous ont naturellement demandé le nom de notre association. Nous avons répondu, au hasard, « Le temps du tango ». Nous avons ensuite déclaré cette association, ce qui nous a permis d’obtenir notre premier contrat, en avril 1994.
Avant la création, nous organisions déjà un bal une fois par mois, et je donnais des cours aux amis avec mon épouse Elena. Nous avions aussi une pratique entre copains, avec 3 ou 4 couples, rue Desnouettes, du côté de la porte de Versailles.
Comment sont nés les stages d’hiver ?
Tout cela s’est construit de manière très pragmatique. L’origine de stage de réveillon est très égoïste : l’idée de concilier agréablement danse et voyage. Nous avons trouvé une agence de voyages pour jeunes qui nous a proposé un hôtel aux Baléares pour le réveillon 1996 et nous avons demandé à Eric et Jeusa de venir donner des cours pendant une semaine. Avec quelques tracs à la MJC de Saint-Cloud, nous avons attiré 50 personnes. L’organisation était très simple, voire rustique : 3 cours par jour, dans une salle au sol en ciment et un au bar de l’hôtel, où les tangueros et les clients se gênaient mutuellement. Quand il y avait trop de monde au bar, on donnait le cours dans le hall de l’hôtel. Le dernier soir les stagiaires ont animé un bal appelé «Bal et Arts aux Baléares»
Malgré tout, les gens étaient contents, et nous avons récidivé l’année suivante cette fois en Tunisie. Nous avons réuni au bord de la mer 100 personnes, dont beaucoup d’allemands, autour de professeurs allemands, Michael Domke et sa partenaire, et de Sergio Molini et Gisela Graef Marino. C’était très sympathique, il y a même eu une journée de tourisme terminée dans un hammam, qui a rechauffé tout le monde, car l’hôtel n’était pas chauffé. Le premier réveillon, organisé par le patron de l’hôtel qui voulait attirer du monde, a été un désastre, avec un mélange de musique disco, de rock, très peu de tango et une cuisine nulle. Devant nos protestations, il a organisé le lendemain un réveillon -bis pour le tango. Gisela et Sergio y ont fait une démonstration inoubliable, qui exprimait leur amour et a fait pleurer beaucoup de monde. malheureusement ce moment sublime n’a pas été filmé.
Comment est né le stage de Prayssac ?
J’avais une maison à Prayssac. En 1988, je suis allé voir le maire pour lui demander la possibilité d’utiliser la Salle des Fêtes l’été pour donner des cours avec quelques copains, logés chez nous, sous la direction de Jorge Rodriguez. Mais nous n’étions que 5 :stagiaires ; Elena, moi-même, une amie de Jorge, Bernard et Paule. L’expérience n’a pas eu de suites à l’époque.
Puis, avec le développement du tango, nous avons décidé d’organiser un vrai stage d’été pendant une semaine en 1996. Avec beaucoup d’appréhension, nous avons réservé 15 chambres pour une semaine à l’institut Clair foyer, devenu depuis Alain de Solminihac. Nous n’avions pas de traiteur, et nous avons dû organiser la soirée de clôture à 20 kms de là, avec une démonstration de Solange Bazely et Guy Burtat. Il y a eu finalement 50 stagiaires, et cela a lancé le festival de Prayssac, qui s’est rapidement étendu sur deux semaines, avec un nombre croissant d’élèves et de professeurs.
Comme je venais de prendre ma retraite, j’étais complètement libre et c’était pour moi un plaisir de m’investir dans le développement de l’association. Selon moi, notre succès vient du fait que le conseil d’administration et le bureau ont été constitués d’abord par affinités avec des personnes qui s’appréciaient, qui avaient souvent la même vision des choses et qui acceptaient de discuter sereinement en cas de désaccord. Certains de ces responsables ont quitté le bureau pour des raisons diverses : Augusto, Solange, Carmen, Nicole, Laurent, Jérôme, Elena. D’autres sont restés fidèles et ont pris de plus en plus une part active : Pierre, Francine, Catherine, Philippe S, Philippe L , Bernie et moi-même. Depuis un an pour faire face aux activités grandissantes, une dizaine d’autres bénévoles se sont impliqués dans différentes tâches, selon leurs goûts et compétences.
Comment a été créée La Salida ?
C’est Solange qui en a eu l’idée. Je l’ai soutenue, mais, au début, peu de monde y croyait. Nous avons bénéficié des conseils d’une allemande alors installée à Paris, Claudia Gerwin. Pour elle, la partie essentielle était l’agenda. C’est ce que nous avons fait : une feuille légère, avec un éditorial et l’agenda de Paris. Le nom, «La Salida», nous a plu à cause de sa double signification « La sortie » mais aussi, bien sûr, la figure de base du tango. Le premier numéro, gratuit, a bien marché, ce qui nous a incité à continuer en le rendant payant. Au début, la fabrication était très artisanale, avec une mise en page par Solange, des photocopies faites par moi-même. On assemblait et agrafait la revue chez moi, et on postait le tout au tarif normal. Peu à peu, la revue s’est développée, avec d’abord un agenda national pour toutes les manifestations tango en France, qui fut très apprécié. Les abonnements ont augmenté, au point que, rapidement, le système initial parut trop artisanal. Nous avons alors eu l’idée de demander un numéro de commission paritaire, et nous avons alors enrichi le contenu rédactionnel. D’où la naissance de La Salida « nouvelle formule », avec un comité de rédaction et un contenu culturel plus important. Rapidement, on a remplacé les photocopies par l’imprimerie offset. La première commission paritaire nous a alors été accordée à titre provisoire, pour seulement deux années. Quand nous avons demandé le renouvellement, en 2000, la revue avait fait de tels progrès que nous l’avons obtenue d’emblée pour 5 ans.
Quels sont tes pires souvenirs ?
En fait, les pires souvenirs sont liés au caractère monomaniaque des danseurs, souvent allérgiques à tout ce qui n’est pas purement de la danse, alors que notre objectif est de promouvoir la culture tango sous toutes ses formes. Je citerais pour mémoire, la très faible audience au concert de Marcucci lors de «Couleurs Tango» 1998, avec moins de 20 personnes, le peu d’intérêt porté au magnifique cycle de conférences par Juan Carlos Caceres, l’obligation pour raisons financières de cesser le «Cabaret Tango» animé par Chico Terto et Sandra Messina à La Milonga de la porte d’Orléans.
Quels sont tes meilleurs souvenirs ?
Je me méfie des superlatifs. Mais j’ai eu le sentiment d’apporter quelque chose avec le développement des conférences sur l’histoire du tango par Ricardo Calvo et Marisa Talamoni. Ceux-ci ont commencé par faire des commentaires pendant les cours. On leur a alors demandé d’organiser des conférences, d’abord en 1998 à Couleurs Tango, puis à Prayssac. Je suis également heureux du développement de La Salida, devenu un magazine de référence. Notre site internet est maintenant un outil de communication fondamental, qui draine notamment beaucoup de débutants aux stages d’initiation. Prayssac a été un succès durable, presque jamais démenti, et le fait que d’autres aient suivi des voies analogues nous confirme le bon choix de notre politique. Tout cela va dans le sens des statuts de l’association : promouvoir et développer le tango sous toutes ses formes, et notamment dans ses dimensions culturelles : expositions, concerts, conférences…
Le festival «Couleurs Tango» à la salle Wagram est aussi une grande réussite. Dès la première réunion de l’association, nous avions lancé l’idée de faire une grande fête. Nous avons contacté la mairie de Montrouge pour louer la grande Salle des Fêtes, ville où nous organisions déjà un bal. C’est là que nous avons fait «Couleurs Tango» en 1995, avec Pablo Veron et Gisèle-Anne, Federico Moreno et Catherine Berbessou, Nathalie Clouet, et la chanteuse Sandra Rumolino. Mais nous n’avions à l’époque, aucune idée des problèmes logistiques liés à l’organisation d’une telle manifestation. Notre traiteur argentin avait préparé un « asado », et la fumée des grillades a envahi toute la salle de danse. Nous n’avions pas prévu assez de serveurs, et les gens ne pouvaient ni boire ni manger. Il y a eu aussi des problèmes de sonorisation, mais l’ambiance était bon enfant, et tout cela a finalement été un succès, ce qui nous a encouragé à continuer. Depuis 3 ans, la mairie de Montrouge ne pouvant plus nous louer la salle (du fait du problème de bruit notamment et de l’indisponibilité pendant les élections), nous avons migré vers la salle Wagram.
Qu’est-ce qui a changé dans le tango depuis 10 ans ?
Il y a davantage de jeunes professeurs argentins de grande qualité, qui ont modifié les méthodes d’enseignement : avant, les professeurs, même les plus grands comme Pepito Avellaneda , disaient ‘faites comme moi ». Maintenant les profs analysent, commentent, font des exercices… Le public est plus éduqué aussi, plus demandeur d’un enseignement de tango de bal que de figures de scène. Il y a eu en France un développement considérable d’associations tango (voir l’article Tangodébit de Felipe), une multiplication énorme de bals et milongas à Paris, résultat évident du nombre de plus en plus grand d’amateurs de tango argentin. Il en découle des nouvelles formes de relation entre les associations, entre les enseignants : un mélange de concurrence et de coopération.
Comment vois-tu l’avenir de l’association ?
Faut-il professionnaliser l’équipe pour continuer à progresser ? Cela irait à l’encontre de notre politique de très bas prix et compliquerait la gestion de l’association. Je ne crois pas que l’on soit arrivé à la limite de ce qu’une structure bénévole et associative peut faire. Le tout est de mettre en place les moyens nécessaires. Pour l’instant l’association fonctionne grâce à une quinzaine de bénévoles, mais nous cherchons en permanence à recruter de bonnes volontés. Sans doute devrions nous chercher à développer notre communication, pour obtenir des aides, des sponsorings plus importants, mieux nous faire connaître à l’étranger. Enfin, nous voudrions associer davantage de jeunes aux activités de l’association.
Propos recueillis par Fabrice Hatem