Editeur : La Salida n°44, juin à septembre 2005
Auteur : Genny Kerry
La Orquesta Tipica Fernandez Fierro en Italie
La Salida avait déjà publié en octobre 2003 un article consacré à un jeune orchestre de tango bouillonnant d’idées et de projets, La Tipica Fernandez Fiero. Notre ami Genny Kerry, de Toulouse, a assisté à l’un de leurs concerts en Italie lors d’une tournée en Europe à l’automne dernier. Un témoignage enthousiaste qui ne peut qu’excitera encore un peu plus notre curiosité et notre intérêt pour cette formation.
Notre voyage depuis Toulouse est récompensé par les mots magiques sur la petite affiche orange: sabato 30 ottobre 2004, La Orquesta Tipica Fernandez Fierro. Nous sommes devant le portail de la Maison Musique, en français dans le texte bien que nous soyons à Rivoli en Italie, à 15 kms de Turin. Ce soir, la Fernandez Fierro ne joue pas seulement à la Maison Musique, mais à la maison tout court. Ils sont déjà venus à Turin en 2003 et connaissent bien les organisateurs de la soirée, Aurora et Carlo de l’association Locomotiva Tanguera.
Emergeant d’une sieste réparatrice pour régler la « balance », les artistes sont rapidement en grande forme musicale. La chasse au bon son est ouvert, et le technicien de la Maison Musique répond présent. De concert avec Julian Peralta, pianiste de La Fierro, il s’applique à construire une véritable architecture sonore. La musique semble jaillir du sol. L’impression de puissance sans excès que donnaient déjà les enregistrements de l’orchestre semble ici se multiplier avec La Yumba jouée comme pour fêter la fin de la séance de « balance ». Un dernier réglage scénique important, la suspension du drapeau au nom de l’orchestre en toile de fond, se fait plus tard, au début du bal, alors que les premiers danseurs évoluent sur la piste.
L’heure du premier set arrive. L’effet visuel des 11 musiciens qui déambulent sur scène, habillés comme dans la vie est surprenant., la Fernandez Fierro réussit en quelques instant l’effacement de nos mémoires de tangueros tout souvenir d’un tango smoking et paillettes. Les 4 bandonéonistes en particulier attirent le regard : leurs instruments portés à l’épaule ou sur le dos, ils s’installent comme des fauves. Mais ils sont venus pour jouer. En quelques instants le signal de départ est donné.
Camandulaje de Gobbi, suivi par Waldo de Peralta. Pour le troisième morceau, c’est l’entrée du chanteur, Walter « Chino » Laborde, tout en élégance. Costume noir à rayures, chemise noire, cravate de soie blanche, il interprète Maria de Troilo-Manzi, un nouveau morceau dans le répertoire de l’orchestre. Il chante avec une voix naturelle et facile, et profite du micro pour encourager les danseurs, jusque-là spectateurs médusés par le spectacle à engager quelques pas s’ils le souhaitent.
Pourquoi nous sommes-nous tous arrêtés pour regarder la scène ? Pour voir la source de ce son ample et généreux. Le quatuor violons-alto donne des coups d’archet unis. Regroupés en fond de scène à droite, ils dégagent une énergie inattendue. Puis en première ligne, sur le devant de la scène, il y a tous ces bandonéons : 4 têtes baissées scandent le rythme à l’unisson, chacun alternant les passages en solo ou en accompagnement. Entre violons et bandonéons se trouvent, de part et d’autre de la scène, un violoncelle lyrique et une contrebasse pilotée avec fermeté par un homme aux cheveux longs en lunettes noires. La direction musicale vient presque par miracle de l’homme discret assis au piano. Tout ceci sans perdre le fil de ces arrangements qui ont tous, ne l’oublions pas, été créées par la Fernandez Fierro. Il n’y a aucune partition de musique sur scène.
Suivent Zita, Te Llaman Malevo, Mal Arreado et La Cancion Desesperada dans une alternance entre instrumentaux et tangos chantés. Et au moment où nous nous amusons à remarquer des traits de Pugliese, Troilo, Gobbi et Piazzolla dans l’orchestration, La Fernandez Fierro nous surprennent en jouant … une chacarera ! Il est interdit de s’ennuyer ici.
A l’entracte, les musiciens se disent contents de la salle, du son, du public. Pablo Jivotovschi, violoniste, explique combien l’énergie que dégagent la masse des musiciens est importante sur scène. Il ne refuse pas la comparaison avec certains groupes de rock pour parler de l’impact de la Fierro. Les bandonéonistes en particulier jouent leurs instruments avec l’intensité de guitaristes de rock. Mais soyons clairs, il s’agit bien du tango argentin ici, joués par de jeunes musiciens convaincus que quelque chose de nouveau peut encore naître de cette forme ancienne.
Deuxième set. D’abord le sublime Milonguero Viejo, puis l’orchestre accompagne Chino sur Milagro. Ensuite chanteur, pianiste et bandonéonistes quittent la scène. Les 6 instrumentistes à cordes se rapprochent un peu, se regardent et, au premier coup d’archet du contrebassiste Yuri Venturin, attaquent comme un seul homme leur version originale de Si sos brujos de Balcarce. La qualité et la précision de cette performance font oublier qu’il s’agit d’un numéro de haute voltige. L’orchestre se retrouve au complet pour Punto y Branca, une composition originale de Julian Peralta, dont la version de ce soir éclipse l’enregistrement de 2001.
Le chanteur Chino revient pour Cuesta Abajo de Gardel-Le Pera, repris en cœur par le public italien. Grande émotion. A la fin du morceau, il réajuste avec satisfaction le nœud papillon blanc qu’il a rajouté par dessus sa cravate. Une milonga, Taquito Militar, est suivie presque sans pause d’une version nouvelle de Evasion de Piazzolla à couper le souffle. Cette capacité de l’orchestre à exprimer son talent sur tant de registres est frappant et constitue sans doute la grande force de la Fernandez Fierro sur scène. Sans oublier l’humour de la mise en scène incarnée par les déguisements et accessoires de Chino lorsqu’il chante Tabaco et Trenzas, deux tangos enregistrés par l’orchestre en 2003 mais sans les effets très spéciaux de ce soir.
La fin du set nous livre également un rappel des ressources musicales propres à la Fierro. Si nous connaissions déjà la version studio de Sin dudas y con firmeza de Yuri Venturin, le contrebassiste, rien ne vaut son sourire joyeux en début et en fin de morceau sur scène. Deux nouveaux morceaux du pianiste Julian Peralta, Via Circuito, puis un autre sans titre pour l’instant, laissent entrevoir de belles perspectives d’un tango vraiment nouveau: polyphonique, rythmé pour la danse, inspiré du répertoire, mais résolument différent.
Prologo, le dernier des 3 rappels, confirme cette idée d’ouverture d’horizon, de choses à venir. D’abord par son titre qui est paradoxal pour un dernier morceau. Puis dans la façon de l’achever : les musiciens ne terminent pas ce tango, mais l’abandonnent, instrument par instrument, quittant la scène les uns après les autres, laissant seul la contrebasse sur scène et cette résonance de sonorité grave qui n’en finit pas. Prologue à quoi ? A quelques dates enfin pour la Orquesta Tipica Fernandez Fierro en France ? Osons l’espérer.
Gerry Kenny, Toulouse, décembre 2004
A ce jour l’orchestre a réalisé deux enregistrements : Envasado en origen (2001) et Destruccion Masiva (2003) (voir site www.fernandezfierro.com pour les références exactes). Chaque disque est composé d’un CD audio d’une douzaine de morceaux, accompagné d’un CD Rom interactif con fotos, videos y todo ese tipo de cosas.