Editeur : La Salida n°38, avril-mai 2004
Auteur : Pierre Lehagre
L’Académie Boedo : un espace de référence
Léon Cariel et Lionel Carrion, figures familières du tango parisien, ont mis en place un pôle original d’enseignement du tango argentin traditionnel en créant « l’académie Boedo » avec les danseurs-enseignants Sébastian Missé et Andrea Reyero. Cette école fêtera son premier anniversaire en avril 2004. La Salida a souhaité connaître les raisons de cette initiative.
LS. Pourquoi l’académie Boedo ?
Léon. « les parisiens ont découvert en 1983 le tango argentin à travers la revue « Tango Argentino » représentation purement scénique du tango. Le premier à avoir véritablement montré aux parisiens le tango pratiqué dans les milongas en Argentine fut Eduardo Arquimbau en 1989, mais très rapidement, en raison de la pénurie de modèles et d’enseignants qualifiés, on a assisté à une dérive et à une dénaturation du tango authentique frisant souvent la caricature. Les danseurs qui souhaitaient s’initier et se perfectionner dans le tango argentin n’avaient d’autre choix que de se rendre à Buenos-Aires, malgré les stages et festivals épisodiques, le plus souvent stériles, animés par des professionnels argentins itinérants et pas toujours scrupuleux. Ce projet procédait de la volonté de préserver le tango argentin authentique et de créer un pôle pédagogique de référence.
Pour toi le tango est il un produit achevé ou bien peut il encore évoluer ?
La découverte du tango à Paris est récente et nous sommes loin de l’avoir complètement exploré et maîtrisé. Ceux qui souhaitent le transformer pour l’inscrire dans la triste réalité d’un univers où l’homme est normé, seraient bien avisés d’en faire d’abord l’apprentissage. De plus, le tango est un « produit » relativement achevé, il peut subir des adaptations et bénéficier d’enrichissements divers mais à condition de ne pas être dénaturé. Il ne viendrait à l’idée de personne de vouloir faire évoluer la musique de Bach ou de Mozart, ce qui n’empêche pas de créer d’autres danses qui peuvent éventuellement s’inspirer du tango, mais dans ce cas il s’agit d’autre chose que du tango. Certains soutiennent que le tango a évolué ces cinquante dernières années et qu’il est nécessaire d’accompagner voire de précéder cette évolution. Ceci est faux et il me semble que le culte rendu au modernisme et au progrès ressortissent beaucoup plus au dogme et à l’idéologie qu’à un véritable projet de libération de l’Homme. Mais nous abordons là un problème de nature philosophique…
Qu’est ce qui caractérise pour toi le tango argentin ?
Le tango s’est constitué à partir de plusieurs cultures, il s’agit d’un syncrétisme, ce qui en fait la profondeur, la richesse et l’universalité. il est spécifié par quelques principes de base : La danse et la musique sont indissociables, et la musique est au service de la danse. il s’agit ensuite très fondamentalement, d’une danse de contact. A partir du moment où on se met à distance l’un de l’autre on se rapproche des productions scéniques où l’on est davantage dans l’ordre du jeu, de l’exhibition, de la représentation égotique avec une dimension émotionnelle esquivée que dans l’aventure, certes fugitive, entre un homme et une femme. Par ailleurs cette danse s’inscrit dans un processus de filiation, et la transmission de cette danse ne peut occulter ni la musique ni les danseurs qui en sont à l’origine.
Quel est l’avenir du tango et des danses de couple en général ?
Je poserais plutôt la question sous la forme « est ce que l’humain a encore de l’avenir ? ». Nous vivons dans un monde en voie de déshumanisation. La plupart des manifestations de l’art que ce soit en musique, danse, peinture reflètent ce processus de déshumanisation. L’évolution des danses de couple est également impacté par ce phénomène, néanmoins il est rassurant de voir qu’après une période d’obsolescence et de désuétude des danses de couple on assiste à leur relative renaissance, notamment chez les jeunes.
Propos recueillis par Pierre Lehagre
Académie Boedo : Rens : 01 40 27 98 80
Pour en savoir plus : www.boedo-tango.com