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Autour d'un tango : poème commenté

El Choclo

discepolo3 Editeur : La Salida n°36, décembre 2003-Janvier 2004

Auteur : Fabrice Hatem

El Choclo, de Enrique Santos Discépolo

Il existe au moins quatre versions en espagnol du tango El choclo. La première, écrite vers 1903-1905 par Ángel Villoldo, évoque, dans un texte sans doute à double sens (l’épi de maïs étant, faut-il le rappeler à nos lectrices, un objet oblong et dur) les agréables propriétés gastronomiques de cette graminée. La seconde, intitulée Cariño puro, toujours de Ángel Villoldo, n’a jamais, à notre connaissance, été enregistrée et ne nous est parvenue que sous une forme incomplète. La troisième, écrite en 1941 par Juan Marambio Catán, fut enregistré la même année par le chanteur Angel Vargas accompagné par l’orchestre de Ángel d’Agostino. Enfin, la quatrième, que nous vous proposons ici, est la plus connue. Ecrite en 1947 par Enrique Santos Discépolo, elle évoque le tango dans un style auto-référentiel et élégiaque.

De nombreuses chansons de tango ont pris comme sujet le tango lui-même. Celui-ci est parfois incarné son instrument-symbole, le bandonéon, présenté en général comme un personnage familier, confident des peines du locuteur dont il exprime la tristesse et la nostalgie (Che bandoneón, Bandoneón arrabalero, La última curda..). Quant au tango, il est souvent paré de propriétés quasiment surnaturelles : démiurge façonnant ses personnages familiers et rythmant les étapes de leur destin (El motivo), médiateur mystérieux à travers lequel le poète rentre en contact avec l’âme de la ville et de ses habitants (Milonga de mis amores).

El Choclo constitue l’un des exemples les plus réussis de cette thématique. Le texte est construit autour d’un puissant mouvement circulaire entre réalité, poésie et mémoire. Le flot vital du tango, jailli de la réalité sordide de l’Arrabal, la transmute, par une mystérieuse alchimie, en poésie. Il semble créer des personnages dont il n’est lui-même que le cadre quotidien (greluches, voyous et rupins) en donnant une forme littéraire à cette humanité de chair et de sang. Il accompagne leur existence et veille, en se glissant dans la peau d’un ami ou d’une entremetteuse, à l’accomplissement de leur destin. Comme un médium, il permet au poète de retrouver, par-delà la mort, la présence et l’amour de sa mère disparue. De sa présence magique, naissent ainsi les personnages, les sentiments et les souvenirs.

Ce texte, écrit quatre ans avant la mort de Discépolo, rompt quelque peu, par son optimisme et sa vitalité, avec les tonalités dominantes de l’œuvre du poète. Celui-ci est surtout connu, en effet, pour a vision désabusée de l’existence, mélangeant cynisme, sens du grotesque, frustration et scepticisme, avec un long cortège d’homme amers et vaincus par la vie (« Quand ton destin pourri, allant de débine en débine, te laisse cassé, sonné », peut-on lire dans l’un des textes les plus connus de Discepolo, ¡Yira !¡ Yira !).

La chanson fut composée à la demande de Libertad Lamarque, pour le film Gran Casino, alors tourné au Mexique par Luis Buñuel. Elle connut, dès ses premières interprétations, un grand succès auprès du public. Elle fut enregistré, entre autres, par Libertad Lamarque (1948), Alberto Arenas (1948), Raul Beron (1952), Charlo (1952), Tita Merello (1954), Tania (1961), Nelly Vasquez (1976), Susanna Rinaldi (1976)… Louis Armstrong en a également chanté une version en anglais très connue sous le titre de Kiss of Fire.

Fabrice Hatem

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