Editeur : La Salida, n°34, juin à septembre 2003
Auteur : Virginia Gift
Danses de la renaissance
Les danses de cour françaises du Moyen âge et de la Renaissance sont maintenues vivantes par de nombreuses organisations comme la troupe Bassa Toscana, dirigée par Bernadette Jacquet et Stephane Queant, qui voyagent tout au long de l’année à travers la France pour donner des spectacles lors de Festivals ou sur des sites historiques tout au long de l’année. Ils donnent également des représentations dans les écoles, et organisent occasionnellement des stages. Il est intéressant d’analyser les similitudes et les différences de ces danses, vieilles de plusieurs centaines d’années, avec le tango, jeune danse de seulement un siècle.
Les danses de cour se dansent en groupe, la plupart du temps à l’occasion de fêtes grandes ou petites. Il n’existe pas de lieu de bal où l’on puisse se rendre à l’improviste. Il faut d’abord réunir un groupe pour pouvoir danser, car il existe une interaction étroite entre les différents couples qui se tiennent par la main et forment entre eux différentes figures. Le plus important n’est pas « comment » les participants dansent, mais leur position par rapport au reste du groupe. A l’inverse, les danseurs de tango ne changent jamais de partenaires pendant une danse, et sont davantage préoccupés par le « comment » ils dansent avec leur partenaire, sans avoir aucune relation avec les autres danseurs – sauf chercher à les éviter.
Les danses de cour sont interprétées aujourd’hui exactement comme elles l’étaient à l’époque. Il existe des ouvrages du 15ème et 16ème siècle qui donnent des instructions précises, accompagnées de dessins, pour chaque pas. On peut aussi s’inspirer des peintures et des dessins de l’époque pour reconstituer les styles et les pas. Ceci garantit en quelque sorte l’authenticité et la fidélité des interprétations contemporaines. Ce n’est pas le cas pour le tango, danse improvisée – sauf dans les spectacles – donnant lieu à des interprétations très diverses, avec plusieurs sortes de styles.
Il y n’a pas autant d’opportunités de stages ou de festivals pour la danse de cour que pour le tango. Selon Bernadette, le faible nombre de stages est lié au fait que les groupes peuvent utiliser les vieux textes pour connaître exactement les pas et leurs combinaisons. Dans le tango, au contraire, Il n’existe pas de codification universellement admise. Il y a peu de danseurs « par intermittence » et les pratiquants assidus génèrent une demande de stages sans fin.
Les danseurs de tango dépensent surtout leur argent en cours et stages. Pour les danseurs de cour, le plus gros poste budgétaire est représenté par le costume, qui coûte en moyenne 1500 euros (les robes des femmes, avec leurs décorations élaborées, pèsent entre 10 et 15 kilos).
Les techniques et les figures des danses de cour historiques ont connu peu d’évolution au cours du temps, avec trois styles principaux. Dans le style de base, le pied reste sur le sol, glissant jusqu’au prochain pas. Le second style est constitué de petits sauts à intervalles successifs, tandis que le troisième est plus animé. Certains styles de la renaissance étaient plutôt acrobatiques. Il existe, par exemple une figure où l’homme tient la femme à un mètre au-dessus du sol, en face de lui. Un couple ne danse jamais seul.
Les pas et les styles étant relativement limités, les danses de cour peuvent être apprises facilement et ne nécessitent pas beaucoup de concentration. Une fois que les pas sont maîtrisés, les danseurs peuvent se relaxer, sourire à leurs partenaires et amis, et se parler. La danse est, par nature, une activité de groupe, une danse sociale.
Le tango, pour sa part, n’est clairement pas une danse de groupe. En fait, il est presque solitaire, puisque le but de la danse est que deux personnes se déplacent comme s’ils ne formaient qu’une unité, même si leurs pieds font des figures différentes. Comme il est improvisé, la chorégraphie se fabrique « dans l’instant » demandant une concentration aiguë de la part des partenaires qui ne se parlent pas depuis le début jusqu’à la fin de la danse.
Les danseurs de cour ne voyagent pas autant dans l’ensemble que les danseurs de tango, et ils le font pour des raisons différentes. Selon Stéphane et Bernadette, les déplacements des danseurs de cour sont liés aux festivals historiques à des dates et dans des lieux bien précis, alors que les festivals de tango fleurissent partout et à tout moment.
Dans les festivals historiques, les danseurs de cour ne sont pas l’attraction principale, dans le mesure où le but du festival est de recréer l’atmosphère de l’époque dans son ensemble. Les participants portent tous des costumes d’époque et de nombreuses autres attractions sont proposées : cuisine régionale, musiciens et chanteurs, son et lumières, théâtre d’époque. Dans certains cas, les rues elles-mêmes deviennent un théâtre, avec de la paille sur le sol, des échoppes et des passants déguisés en personnages de l’époque de tous rangs sociaux, des jongleurs, des cracheurs de feu. Dans certains cas, un petit droit d’entrée est perçu, mais si les participants sont en costume d’époque, ils peuvent rentrer librement.
De leur côté, les danseurs de tango voyagent pour rencontrer un enseignant ou assister à un spectacle particulier. La raison d’être des festivals de tango est pour les participants de voir ou d’apprendre quelque chose de nouveau : pas, techniques…, Ils peuvent, pour cela, se déplacer à l’intérieur de leur propre pays, à l’étranger, voire jusqu’à « la Mecque » du tango, Buenos aires. Leurs déplacements durent plus longtemps que ceux des danseurs de cour, dont les festivals ne durent le plus souvent que quelques jours, contre une semaine en moyenne pour les stages de tango.
La fédération Française des Fêtes et Spectacles Historiques rassemble près de 100 groupes locaux et 80 organismes professionnels et diffuse l’ensemble des informations relatives aux festivals historiques. Une telle organisation n’existe pas dans le tango, où l‘organisation est, comme sur la piste, improvisée et quelque peu anarchique, chaque groupe étant complètement indépendant, avec Internet comme mode de communication principal. Aucun tanguero aux Etats-Unis ne part en voyage d’affaires ou en vacances sans consulter d’abord Internet pour savoir ou il pourra danser.
Virginia Gift