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Chanteurs tango

Carlos Gardel, par V.Gift

gardel1 Editeur : La Salida n°39, juin-septembre 2004

Auteur : Virginia Gift

Carlos Gardel

Notre Amie Virginia Gift, qui prépare un ouvrage sur le tango, a accepté de nous livrer en avant-première les « bonnes pages » de son livre consacré à Carlos Gardel.

« Garlos Gardel est, tout simplement, le plus grand chanteur de tangos de tous les temps – et « probablement le plus grand talent jamais associé avec cette forme particulière de musique populaire.. Je pense que c’est la plus grande voix de tous les chanteurs populaires du XXème siècle ». Simon Collier, historien.

« Gardel chante un peu mieux chaque jour ». Dicton argentin contemporain.

Il est impossible de surestimer l’importance de Gardel dans la légitimation du tango. À lui seul, il s’est emparé de la danse et de musiques vulgaires des bordels et des bas-fonds et l’a métamorphosé en « tango-canción », le tango-chanson. Il l’a amené vers la société respectable de Buenos Aires et est devenu l’idole de la moitié de l’hémisphère occidental. Il a amené le tango-chanson à New York, Paris et dans le reste de l’Europe, où il est devenu l’enfant chéri de l’aristocratie comme du peuple. Il était ami avec le baron de Rothschild, l’Aga Khan, Charlie Chaplin et avec tout ce qui comptait en Europe, y compris les chefs d’État. Il a ensuite amené le tango-chanson vers la société respectable de Buenos Aires. Souvent, il publiait en même temps deux enregistrements de la même chanson – l’un avec un orchestre, l’autre avec un accompagnement de guitare – et chacun d’eux battait des records de vente dans les deux premiers jours.

Plus de cinquante ans après sa mort, l’image de Gardel domine la culture populaire argentine. Il est impossible d’échapper à se présence à Buenos Aires ou ailleurs. On vend des posters de lui au coin des rues ; des affiches géantes utilisent sa photographie pour vendre d’importe quoi ; la couverture des cahiers d’écoliers porte son visage. Sa photographie est accrochée à côté de celle des Saints dans les taxis et dans certaines maisons. Il est sur les briquets, sur les tasses de café… des centaines de milliers de photos de lui ont été vendues au cours des 20 années qui ont suivi sa mort. Aujourd’hui encore, il suscite la passion d’une large communauté de « fans », les gardelianos, qui ne passent pas une journée sans écouter ses chansons ou regarder ses films.

Même si c’est sa voix qui a d’abord amené les gens vers lui, c’est son charisme et sa présence remarquables qui les ont ensuite transformés en fans et en amis dévoués. Gardel était aussi éloigné que possible du personnage de la prima donna. Tout au long de sa carrière extraordinaire et même quand il fut au sommet de la frénésie et de l’admiration qui entouraient chacune de ses activités, il est resté complètement naturel, sympathique avec ses amis, ses collègues et ses connaissances et exprimant avec une naïveté charmante la surprise de connaître un si grand succès. Il aimait ce succès et le mode de vie qu’il prodiguait, mais il n’oublia et ne renia jamais ses humbles origines du Río de la Plata – dont il disait qu’il était son berceau spirituel.

Au cimetière de la Chacarera où il est enterré, se presse un flot ininterrompu de pèlerins, aussi bien argentins qu’étrangers, qui visitent sa tombe et admirent sa statue en bronze grandeur nature. S’il n’a pas de cigarette allumée entre les doigts de sa main droite, quelqu’un lui en mettra invariablement une. Les enthousiastes du tango venus du monde entier continuent à lui rendre hommage et les clubs de tango de toutes les parties du globe ont placé des plaques commémoratives sur pratiquement chaque centimètre de sa tombe et de son piédestal. Si sa voix continue à être universellement acclamée, cet éloge est invariablement accompagné de commentaires sur son charisme personnel, dont témoignent abondamment les photographies montrant son « doux sourire ». Toute cette adulation pour lui en Argentine… et il n’était même pas argentin. C’était un émigrant français.

Il est né à Toulouse, en 1890 (ou 1893 selon certaines sources). Il était le fils illégitime d’une femme « de moyens modestes » et d’un homme d’affaires marié, Paul Lasserre. Deux ans plus tard, En même temps que des milliers d’autres immigrants. Berthe Gardes prit un navire pour l’Argentine dans l’espoir d’y trouver une vie meilleure pour elle et son fils. À Buenos Aires, elle trouva un travail de blanchisseuse. Carlos chantait dans le chœur de l’école, alla à l’école jusqu’en 1904, puis la quitta pour gagner de l’argent en pratiquant des petits métiers dans le voisinage.

Il n’existe pas de documents indiquant quand Gardel commença à chanter pour gagner de l’argent. Mais, du fait de son talent naturel, il commença probablement par chanter dans les bordels et dans les bars du quartier où il vivait. En 1911, il avait déjà établi une réputation locale, s’accompagnant lui-même à sa guitare. Il se lia alors d’amitié avec un chanteur Urugayen, José Razzano, qui commençait lui aussi à être connu à Buenos Aires. Il formèrent un duo qui devint rapidement très populaire en interprétant un répertoire de musique folklorique Argentine.

Ils commencèrent leur collaboration par des tournées dans des petites villes de la province de Buenos Aires en gagnant lentement mais régulièrement de l’audience. Le répertoire du duo était essentiellement constitué de musique folklorique : chanson rurales, valses, zambas… Mais il ne chantait pas de tango, car la chanson de tango n’existait pas encore comme une forme d’expression établie. Les duettistes commencèrent à réaliser à partir de 1913 des enregistrements au gramophone. En 1915-1917, ils effectuèrent des tournées au Brésil et en Argentine avec un succès croissant, toujours avec un répertoire de musique folklorique.

Cependant, en 1917, le tango-chanson fut inventé par un ami de Gardel. L’écrivain Pascual Contursi composa sur la mélodie d’un tango populaire des vers qui racontaient l’histoire vraiment déprimante d’un amoureux abandonné remuant des pensées désespérées, assis la nuit dans sa petite chambre. Ce nouveau concept de poèmes attachés des musiques de tango et racontant une histoire ou décrivant des émotions toucha fortement le public de Buenos Aires, et il s’en vendit bientôt des milliers d’exemplaires. Gardel interpréta ces tangos en même temps que le répertoire folklorique qui lui avait amené jusqu’ici un modeste succès, et ce n’est à partir de 1923 qu’il commença à ne chanter que du tango. C’est également à cette époque qu’il effectua sa première tournée en Europe, qu’il inaugura par un grand succès à Madrid.

En 1925, quand le Prince de Galles visita l’Argentine, Gardel et son partenaire furent invités à chanter devant lui. Le Prince les accompagna avec enthousiasme avec son ukulele qui le suivait partout. Plus tard dans l’année, Razzano tomba malade de la gorge et fut obligé d’arrêter de chanter. Gardel continua seul, interprétant ses tangos avec un accompagnement de guitares. En 1927-1928, il retourna en Espagne pour une tournée très réussie, puis poursuivit sa route vers Paris, où sa première prestation au night club Florida rencontra un succès immédiat, devant un public où figuraient, entre autres, Joséphine Baker, Maurice Chevalier et le fameux peintre japonais Foujita. Début 1929, il participa à un gala de Charité à l’opéra. Il devint rapidement une telle vedette qu’il gagnait davantage d’argent que le chanteur français le mieux payé, Maurice Chevalier.

Les critiques étaient en extase. Le Figaro parlait du « charme magnétique qu’il exerce sur le public ». Le journal « La Rampe » parla de « l’étonnante étoile dont le triomphe chaque soir au Florida est impossible à décrire… L’immense talent de cet artiste est incomparable. C’est un véritable artiste dans le sens profond du terme ». Gardel en fut surpris et ému.

Les années 20 et 30 furent bien remplies pour Gardel. Il se produisit en Argentine, en Uruguay, en Espagne et en France, avant de prendre la direction des États-Unis en 1933. Il tourna dans 7 films, tous pour la Paramount – 3 en France et 4 aux États-Unis (voir filmographie). Il noua des amitiés avec de nombreuses personnalités connues de l’époque, participa aux événements les plus prestigieux, tout en gagnant plus d’argent qu’il n’en avait jamais rêvé.

Gardel était un fils attentif qui restait en contact étroit avec sa mère. Celle-ci fit plusieurs voyages transatlantiques entre Buenos Aires et la France pour le rejoindre. En 1934, il se rendit sur son lieu de naissance à Toulouse, où il résida à l’hôtel Regina, pour rencontrer les membres éloignés de sa famille. Son cousin, Henri Brune, se souvient : « je l’avais accompagné dans rues de Toulouse. J’étais surpris de tous les pourboires qu’il laissait. Il donna également à mon père une montre avec une chaîne en or, qui pesait au moins 100 grammes. Carlos avait acheté 6 ou 7 montres qu’il donnait à ses amis. Il n’était pas encore très connu dans notre quartier, mais les femmes se retournaient pour le regarder car il était très séduisant. Il était très discret et distingué.

En avril 1935, Gardel entreprit une tournée dans les Caraïbes pour la Paramount et la RCA Victor. C’était la première tournée qu’il effectuait par avion et, quand il visita sa famille à Toulouse en septembre 1934, il leur parla de ce projet. Sa tante lui demanda : « n’as-tu pas peur de voyager en avion, Carlos ? Avec son fort accent espagnol, il répondit en français : « Non, je ne suis pas effrayé, mais inquiet ». Le 24 Juin 1935, alors que son avion décollait de Medelin en Colombie, il percutait un autre avion. Gardel et son parolier et ami, Alfredo Le Pera, trouvèrent tous deux la mort dans l’accident.

Virginia Gift

Quelques-uns des surnoms de Gardel

Carlito : Carlito
El morocho : "Le brun"
El morocho del Abasto : le brun de l’Abasto"
El Zorzal : "L’oiseau chanteur"
El mago : "Le mage"
El zorzal criolo : "L’oiseau argentin", "L’oiseau de chez nous"
El zorzal Porteno : « L’oiseau chanteur de Buenos Aires »
El Francesito : «Le petit français »

Pour en savoir plus sur Carlos Gardel et Alfredo Le Pera : /2004/12/10/la-salida-n-39-carlos-gardel/

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