Editeur : La Salida, n°34, juin à septembre 2003
Auteur : Fabrice Hatem
Sévillane et flamenco en France (entretien avec Chantal Rabourdin)
Chantal Rabourdin, figure familière des milongas parisiennes, est également professeur de Flamenco et anime la seule soirée hebdomadaire de Sévillanes à Paris, le lundi soir au Latina. Nous l’avons interrogée sur la pratique de ces danses en France.
Quels sont les origines des Sévillanes et du Flamenco ?
La Sévillane est, comme leur nom l’indique, la danse folklorique de Séville. Vieille de plusieurs siècles, elle peut éventuellement se danser entre femmes, mais jamais entre hommes. C’est une danse gaie, très chaleureuse et communicative, qui rassemble tous les âges et toutes les origines sociales. Elle est restée très vivante en Andalousie et dans toute l’Espagne, où elle accompagne toutes les fêtes. Elle est également présente dans le sud de la France, tout particulièrement à l’occasion des férias.
Le Flamenco est une musique populaire qui a émergé, dans sa forme actuelle, au XIXème siècle seulement. Il existait bien sûr auparavant un « proto-flamenco », mais celui-ci a végété jusqu’à ce que s’ouvrent au XIXème siècle des cafés cantantes qui ont permis la création d’un milieu artistique et d’un public payant. Ce style reflète la diversité des cultures qui se sont cotoyées en Espagne : musique judéo-arabe, andalouse, mais aussi orientales (indienne, égyptienne, maghrébine) transmises les gitans… Certains types de flamencos viennent des marins (par exemple le style « allegria » originaire de Cadix), des mineurs (Styles Taranto, Minieras), des forgerons. Le flamenco a été chanté dans tous les villages d’Andalousie, même si les gitans, plus extravertis, avaient davantage tendance à chanter et danser dans la rue.
Y a-t-il une différence entre l’atmosphère des deux milieux ?
Les gens viennent danser les Sévillanes pour se détendre, s’amuser, se parler, même si la danse reste l’activité centrale. Ils se sentent un peu en famille. L’ambiance est festive, bon enfant, communicative, tranquille. Les paroles des chansons sont gaies pour la plupart, même si la tristesse est parfois présente. Elles évoquent la vie la vie des gens simples, l’amour, l’Andalousie, et souvent les ferias et les fêtes religieuses.
La religion est importante dans la culture des Sévillanes. Celles-ci sont traditionnellement dansées, au mois de mai, à l’occasion du pèlerinage du Rocío et de la fête de la Vierge. Chaque quartier et chaque village d’Andalousie dresse alors la Cruz de Mayo, autour de laquelle on danse les sévillanes. Celles-ci peuvent même être chantées à l’intérieur des églises. Les femmes portent, pour les grandes occasions, les fameuses robes noires brodées, avec fleurs et peigne dans les cheveux, boucles d’oreille..
Le Flamenco n’a le même esprit : il se danse seul, pour se défouler de la misère, et porte en lui un fond de tragédie, voire de désespoir. Il « sort des tripes », avec des paroles très sombres qui parlent de la mort, de la misère, de l’amour déçu. Contrairement aux Sévillanes, qui sont une danse sociale, c’est d’abord une danse de scène, à l’exception de quelques soirées improvisées entre professionnels. On ne peut pas dire « ce soir, je vais aller danser le Flamenco ».
Quelles sont les différences entre les deux types de musique ?
La musique des Sévillanes se joue sur trois temps. Elle est avant tout destinée à accompagner la danse, qui constitue la partie la plus importante de ce folklore. Les morceaux s’organisent en 4 tableaux de trois couplets que l’on danse toujours dans le même ordres, avec des figures particulières à chacun et un arrêt entre chaque tableau. Les danseurs sont face-à-face et ne se touchent pas. Ils exécutent une chorégraphie fixe. Il est possible également de danser à deux couples on en cercle.
L’instrument de musique traditionnel est la guitare, mais les groupes modernes ont constitué des orchestres plus étoffés. Les castagnettes peuvent accompagner les Sévillanes, mais ne sont pas du tout obligatoires. Il existe plusieurs styles différents, comme par exemple les « Corraleras », originellement chantées dans les places de village qui ressemblaient à un grand patio, ou les « Rocieras », parfois chantées par de petites vieilles dans les églises à l’occasion de grands pèlerinages, comme celui du Rocio.
Même si la variété du répertoire n’est pas comparable à celle du Flamenco et du Tango, il existe des interprètes de Sévillanes connus. Citons parmi les plus prestigieux, l’orchestre Raya Real (spécialiste du style Rocieras) , des groupes actuels comme Los amigos de Jines, Los cantores de Hispalis, ou encore le chanteur El Pali, décédé il y a une dizaine d’années.
Dans le Flamenco, le chant est né en premier, suivi par la musique, puis par la danse. Certains chants ne se dansent jamais. Les styles musicaux sont très variés, avec des rythmes à 4/8 et des rythmes composés à 3 et 2 temps dans une mesure à 12 temps. Cela dépend des « palos » (grandes catégories de genres musicaux), eux-mêmes divisés en plusieurs « styles » différents (17 styles au total). On peut citer par exemple, parmi les styles à 12 temps, la Solea (parfois appelé la « mère » du Flamenco), l’Allegria, la Buleria, la Siguiriya, et parmi les styles à 8 temps, le Tarento ou le Tango (sans rapport avec son homonyme argentin).
Quelles sont les caractéristiques comparées de ces deux milieux en France ?
Contrairement au sud de la France, le milieu des Sévillanes est très restreint dans le nord du pays, où le public est davantage attiré par le Flamenco, plus spectaculaire, sombre et tragique. Moins médiatisées par les grands spectacles, les Sévillanes sont parfois considérées avec une certaine condescendance par les pratiquants du Flamenco à Paris, du fait de leur côté simple, gai, et un peu répétitif. Cette attitude surprend les Espagnols qui dansent volontiers les Sévillanes. Cependant, depuis 5 ou 6 ans, leur pratique prend de l’ampleur à Paris à mesure que le public découvre la richesse du folklore espagnol.
Il n’existe pas en Sévillanes l’équivalent des grandes vedettes ou des professeurs célèbres que l’on trouve en Flamenco ou en Tango, avec tournées, stages internationaux, etc. En France, ce sont souvent des danseurs de Flamenco qui enseignent aussi les Sévillanes. Il y bien sûr des aficionados fanatiques, mais les occasions de danser sont beaucoup plus restreintes et la danse étant moins variée que le tango, la lassitude vient plus rapidement.
Le milieu associatif est assez limité : quelque professeurs indépendants, de petites associations espagnoles, la Casa de España… Le site internet « Sevillana 2003 » informe sur les soirées, les voyages, les ferias. Le seul point de rencontre fixe est le Latina le lundi soir et un repas à Planète Andalucia une fois par trimestre.
Dans le Flamenco, les pratiquants peuvent, comme dans le Tango, voyager à Séville, Madrid ou Jerez pour prendre des stages avec des professeurs renommés comme Joaquin Grilo, la China…. (tous portent des surnoms). Les enseignants, comme dans le tango, se déplacent également pour donner des stages à l’étranger. Mais les élèves ne peuvent danser qu’en cours ou à l’occasion des stages de fin d’année.
Le milieu de Flamenco parisien est beaucoup plus gros que celui des Sévillanes, mais il n’y a pas de vie collective comparable à celle du Tango, car les gens ne peuvent se retrouver dans des lieux de ralliement pour danser quand ils le désirent. Deux salles sont spécialisées dans le Flamenco à Paris : celle de l’association « Flamenco en France », et celle de « Planète Andaluçia » à Montreuil, où sont organisés cours, stages, réunions et spectacles. La vie associative s’organise autour de ces deux lieux. On peut également écouter et regarder le Flamenco dans de nombreux restaurants espagnols. Il existe des revues de Flamenco en Espagne, mais pas en France. L’information circule par l’Internet et le bouche-à-oreille.
Contrairement aux Sévillanes, où il n’existe pas de clans, on observe des différences internes dans le milieu du Flamenco. Une rivalité oppose par exemple l’école de Madrid (style rapide et saccadé) et celle de Séville (rythme plus lent et sensuel). A ce clivage traditionnel s’ajoute maintenant une opposition entre modernistes et traditionalistes. Ceux-ci considèrent par exemple la formation récente d’orchestre de Flamenco, au lieu de la seule guitare, comme une hérésie. Les danseurs contemporains ont également introduit des innovations qui suscitent la polémique.
Propos recueillis Fabrice Hatem
Pour en savoir plus : Trianera@wanadoo.fr ; Elflamencovive.com ; Sevillana 2003
Le sud, cœur du Flamenco en France
Les corridas, les ferias la Camargue, la présence de fortes communautés andalouses et Gitanes : tout cela prédispose à faire du sud de la France -plus précisément d’un triangle délimité par Marseille, Nîmes et Montpellier – une terre d’accueil de la culture « Flamenco ». Nombreuses sont les associations et écoles de la région qui organisent bals sévillans et soirées flamenco (ou « Tablao ») à l’atmosphère familiale et festive. Citons, rien qu’à Marseille, « Los Flamencos », le « Centre Solea », « La Tablao Boleco », « Con Salero », « Caminando », « Remolina Andalu » ainsi que l’association «Punta y Tacon » à Istres. Le Flamenco est également présent dans de nombreux festivals de la région : Festival des Suds à Arles à partir du 14 juillet, fiesta des docks à Marseille en octobre, festival « Voix et chants du Flamenco » à Grenoble en novembre. Mais la plus grosse manifestation a lieu début juillet a Mont-de-Marsan, qui se met alors pendant une semaine à l’heure andalouse.
Pour en savoir plus sur le flamenco : www.apaloseco.com (remerciements à Isabelle Gazquez)