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Autour d'un tango : poème commenté

Yira…Yira…

discepolo3 Editeur : La Salida n°11 (décembre 1998/janvier 1999)

Auteur : Fabrice Hatem

Yira…Yira (Marche ! Marche !)

Yira…Yira fut composée en 1930, alors qu’Enrique Santos Discépolo venait de traverser une période de difficultés financières et personnelles, et que l’Argentine toute entière s’enfonçait dans la crise économique. Ce texte à la tonalité très sombre, illustration parfaite du pessimisme de l’auteur, marque également, avec d’autres œuvres majeures de Discépolo, comme Qué vachache (1926) ou Cambalache (1935) un tournant important dans la poésie tanguera, y introduisant une dimensions philosophique et morale portée par des textes de réelle valeur littéraire.

La richesse de la langue de Discépolo ne simplifie d’ailleurs pas la tâche du traducteur. Ainsi, dans le premier vers, le terme « grela » peut aussi bien se comprendre par « sale » (argentin courant) que par « femme » (lunfardo) ou même « salope » (licence poétique). Faut-il alors traduire par « quand ton destin pourri va de débine en débine », par « quand la chance, cette salope, te fout baffe sur baffe » (solution de Ramon Gomez de la Serna) ou par « quand la chance, cette gonzesse, se met a flancher et à geindre » ? Choix douloureux, qui affaiblira de toutes manières la force du texte original.

La musique, également composée par Discépolo, respecte les canons traditionnels : mesure à 2/4, construction autour de cellules de 8 mesures. La tonalité des couplets est dominée par le mode mineur (Si mineur dans la partition étudiée) avec quelques courts passages dans le mode majeur correspondant (Ré majeur). Le refrain est entièrement en majeur (Ré majeur). Ce choix donne une couleur particulière à ce refrain aux paroles très sombres : au lieu de la tristesse résignée qu’aurait pu suggérer le mode mineur, c’est une marche virile et funèbre qui nous est proposée.

Parmi les nombreuses interprétations de l’œuvre, on mentionnera, bien sûr celle de Carlos Gardel (1930), où la simplicité de l’accompagnement à la guitare permet de mettre pleinement en valeur la beauté du texte; celle de l’orchestre de Julio de Caro (1930), où l’association violon-piano-bandonéon porte avec succès la belle voix de Luis Diaz, enfin, le solo de piano de Carlos Garcia (1963), dont l’arrangement , malgré sa très grande richesse rythmique et sa capacité à reproduire la polyphonie orchestrale, reste très fidèle à la partition originelle. Mentionnons également les belles interprétations de Rivero/Troïlo (1947) et de Goyeneche/Stampone (1973).

Concernant l’interprétation chorégraphique d’une pièce qui est par ailleurs rarement jouée en bal, on ne peut qu’insister sur le contre-sens absolu qui constituerait à multiplier les entrechats ou les fantaisies diverses. Bien au contraire, cette œuvre devrait inspirer une « méditation dansée » sur le caractère tragique et absurde de l’existence : le mouvement y perdra une gaieté et une vivacité hors de propos, mais gagnera en profondeur et en dépouillement.

Fabrice Hatem

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