Editeur : Alternatives économiques, mars 2005
Auteur : Fabrice Hatem
Les délocalisations constituent-elles à vos yeux un problème grave ?
Bien sûr. Les données d’investissement direct, très souvent mises en avant pour affirmer le contraire, sont difficilement utilisables car elles retracent, pour l’essentiel les opérations d’acquisitions-fusions. De plus elles faussent le débat en surestimant fortement la part des pays développés. De toute façon, on ne peut limiter l’analyse à l’étroite question des délocalisations stricto sensu – fermer une usine ici pour la rouvrir là-bas à l’identique. Le vrai problème, c’est celui de la compétition entre territoires pour l’accueil des projets internationalement mobiles, qu’il agisse de créations ex nihilo, d’extensions de capacité, ou, de manière marginale, de délocalisations pures. Pour apprécier correctement la situation, il faut donc recenser ces projets. C’est ce que font des consultants comme IBM/PLI, Ernst and Young, ou des agences de promotion comme l’AFII.
Quels résultats donnent ces mesures ?
On observe une localisation préférentielle de ces projets dans les pays en développement (Chine, Inde) et au niveau européen, en priorité dans les PECOs. Les firmes multinationales sont engagées dans un vaste mouvement de restructuration avec un glissement massif des activités de main d’œuvre vers les pays à bas coûts. Pour l’instant, le tertiaire et la high tech se maintiennent mieux dans les pays développés. Mais nous ne devons sous-estimer ni l’effet d’entraînement de la migration industrielle sur celle des services, ni les capacités de rattrapage de certains pays en développement en matière technologique, ni l’apparition d’un mouvement autonome de délocalisation de certaines activités tertiaires. Le domaine protégé des économies développées se réduit de jour en jour.
Est-ce vraiment un danger et que faire pour l’éviter ?
Le danger est plus social qu’économique. Grâce au développement d’activités à plus forte valeur ajoutée, nous parviendrons vraisemblablement – de manière plus ou moins efficace selon les pays et les régions – à compenser l’impact du déclin des activités de main d’œuvre. Mais en nous spécialisant sur des biens incorporant de moins en moins de travail non qualifié, nous créons un problème frontal d’inemployabilité pour la partie la moins bien formée de notre population. Que faire alors ? Former les gens, renforcer nos pôles et nos filières d’excellence en essayant d’éviter les saupoudrages inefficaces ; transférer un part du financement de la protection sociale vers les prélèvements indirects afin de réduire les coûts de production sans baisser les salaires. Et défendre mieux nos intérêts dans les négociations commerciales internationales, en évitant des ouvertures de marché sans contreparties.
Propos recueillis par Guillaume Duval
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