Editeur : le nouvel économiste, mars 2005
Auteur : Fabrice Hatem
L’automobile allemande délocalise, les salariés paient l’addition
1100 emplois créés par l’équipementier Kierkert à Preluc en République tchèque, 150 par Bruss Dichtungstechnik à Mragowo, en Pologne… Décidement, le mouvement de délocalisation de l’industrie automobile allemande vers les PECOs, entamé il y a maintenant plus de 10 ans, ne semble pas se ralentir en ce début d’année 2005. Avec pour résultat l’émergence, dans ces pays, de puissants pôles de production automobile à capitaux germaniques : près de 800 000 véhicules produits dans la région en 2004 par le seul groupe Volkswagen, dont 450000 en république Tchèque (à travers sa filiale Skoda), 225 000 en Slovaquie, 50 000 en Pologne, 40 000 en Hongrie (marque Audi)… Sans compter 2 millions de moteurs, pour une part intégrés sur les véhicules locaux, et pour une autre part réexportées vers les usines de montage allemandes.
La stratégie sous-jacente ? Bien sur, s’implanter sur des marchés en expansion. Mais surtout réduire des coûts. Comme l’analyse Réné Lassere, directeur du CIRAC (centre d’information et de recherche sur l’Allemagne contemporaine) : « Beaucoup d’entreprises industrielles allemandes estiment impératif de délocaliser les segments de production à forte intensité de main d’œuvre pour abaisser leurs coûts, en se concentrant sur ceux qui requièrent un haut niveau de qualification et d’innovation ».
Une évolution peut-être nécessaire, mais qui déstabilise aussi en profondeur le modèle socio-industriel allemand. Certes, l’intégration massive d’équipements fabriqués dans les PECO a permis de doper la compétitivité-prix des véhicules assemblés outre-Rhin, contribuant au dynamisme des exportations. En dix ans, de 1993 à 2003, le taux d’exportation de l’industrie automobile allemande est ainsi passé de 50 % à 70 %, permettant ainsi à la production de continuer à progresser modérément en volume et même, plus modestement, en nombre de véhicules malgré l’atonie du marché intérieur. Et le solde commercial s’est fortement accru (plus de 60 milliards de dollars en 2003 contre moins de 40 en 1990), malgré la dégradation des échanges avec les pays de l’est.
Mais du côté de l’emploi, les choses sont évidemment moins brillantes. Entre 1990 et 2003 ans, l’industrie automobile allemande a pratiquement perdu 10 % de ses effectifs, passant de 850 000 à moins de 775 000 salariés. Encore les industriels, soucieux de ménager le fameux système de la cogestion, ont-ils cherché à éviter la « casse sociale » dans leur pays. D’où des solutions qui ont longtemps fait figure de modèle, comme la fameuse semaine de quatre jours mise en place par Volkswagen.
Ces compromis sont cependant aujourd’hui remis en cause par le patronat allemand. De Bosch à Siemens, les grands industriels d’Outre-rhin tiennent aujourd’hui à leurs salariés un discours simple : si vous voulez conserver votre emploi, travaillez davantage ou acceptez une réduction de salaire. Sinon, nous irons produire ailleurs, dans les pays de l’est ou en Amérique latine ». Opel, filiale de General Motors a ainsi rendu public en octobre dernier un plan de suppression de 10 000 emploi en Allemagne. A peu près à la même date, Daimler a annoncé son intention d’implanter une usine de montage en Russie. Et Volkswagen, hier vitrine sociale, devient aujourd’hui l’un des principaux acteurs de cette remise en cause.
Ebranlé par ses déboires en Amérique et en Chine, victime en Europe d’une concurrence croissante des producteurs asiatiques sur les petits véhicules, le groupe a vu sa rentabilité chûter fortement au cours des 2 dernières années. Pour rétablir sa compétitivité, le constructeur est cette fois décidé à tailler violemment dans ses coût salariaux en Allemagne (-30 % prévus d’ici 2011). En gelant les salaires des salariés actuels et en les indexant sur les résultats de l’entreprise. En réduisant les salaires des nouveaux embauchés. En comprimant les effectifs par des départs en pré-rétraites. En accroissant la flexibilité des horaires et de temps de travail. Une amère potion, préparée par le nouveau « tueur de coûts » du groupe, Peter Hartz, l’auteur de la très controversée réforme du marché du travail allemand (licenciements plus aisés, flexibilité accrue, assurances-chômage réduites). Et que l’IG Metall n’a accepté à la fin 2004 que sous la menace, à peine voilée, de solutions beaucoup plus radicales. Car, dans le même temps, la firme poursuit sa stratégie de délocalisation : le nouveau modèle Fox de petite voiture destinée au marché européen sera ainsi produit dans les usines brésilliennes du groupe. Sans doute indispensables pour les entreprises, peut-être non dénuées d’effets indirectement bénéfiques pour la compétitivité des pays industrialisés, les délocalisations constituent ainsi, pour les salariés de ces pays, un redoutable facteur de régression sociale et de précarisation.
Fabrice Hatem
Pour une étude plus complète sur l’industrie automobile européenne, cliquez sur le lien suivant : /2004/12/22/automobile-declin-ouest-europeen-janv-2005/
Pour une étude plus complète sur l’orientation géographique des investissements en Europe, cliquez sur le lien suivant : /2006/06/09/les-investissements-etrangers-en-europe-par-region-et-pays-de-destination-2002-2005-juin-2006/