Editeur : Le nouvel économiste, 26 février 2005
Auteur : Fabrice Hatem
Un puissant lien transatlantique tissé par les investissements internationaux
On parle beaucoup du tropisme vers le Pacifique des Etats-Unis, qui tourneraient progressivement le dos à la « vieille » Europe. Les frictions diplomatiques liées à la crise irakienne, les tensions commerciales récurrentes renforcent encore ce sentiment d’une prise de distance entre les deux pôles de l’axe transatlantique. Mais qu’en est-il dans la réalité ?
La réalité, c’est celle d‘un lien profond et durable, qu’illustre, entre autres, le caractère massif des investissements croisés. Les firmes d’Europe de l’ouest représentent à elles seules les trois quart des investissements et des emplois étrangers aux Etats-Unis : 4,3 millions de salariés, dont 600 000 dans les seules filiales de firmes françaises. En sens inverse, l’Europe de l’ouest accueillait en 2003, plus de la moitié (54% exactement) des stocks mondiaux d’investissements américains à l’étranger. Avec une position presqu’aussi prééminente en matière d’emploi : 43 % du total en 2002, soit 4,2 millions, contre seulement 22 % pour l’Asie. Et les évolutions les plus récentes ne sont pas si négatives. En 2004, l’Europe a encore accueilli, d’après les données AFII, 700 projets d’investissement US, à peine moins qu’en 2003. Penétration croisée des marchés, sourcing technologique, sont les principales raisons de ces mouvements symétriques d’investissement qui prennent deux formes principales.
Les mouvements d’acquisitions-fusions, tout d’abord. Acquérir une entreprise complémentaire située de l’autre côté de l’Océan est bien souvent la solution la plus simple pour pouvoir à la fois croître en taille, compléter la gamme de produits, s’implanter rapidement sur un nouveau marché. 63 acquisitions-fusions transatlantiques d’un montant supérieur à 1 milliard de dollars ont ainsi été recensées entre 2001 et 2003, soit le quart du total mondial des grandes opérations transfrontalières.
Les implantations physiques ensuite. Les 2100 projets US récensés par l’AFII en Europe (ouest et est) entre 2002 et 2004 ont permis d’y créer près de 60 000 emplois par an, soit un quart du total tous pays d’origine confondu. Et avec une orientation géographique nettement plus favorable à l’Europe de l’ouest que la moyenne : celle-ci a en effet représenté près des deux-tiers des emplois créés par les firmes US sur le continent, contre à peine la moitié pour l’ensemble des multinationales.. et le quart pour les allemandes (hors pays d’origine). Cette fidélité remarquable des firmes nord-américaines à la « veille Europe » s’explique par deux raisons principales.
Tout d’abord, la part des activités tertiaires et des « high tech », plus susceptibles de se localiser en Europe de l’ouest que dans les PECOs, est particulièrement élevée dans les investissements des firmes américaines. Si l’on ajoute par exemple, aux secteurs traditionnels de services (logiciels, conseil, transport, etc, ), les fonctions tertiaires gérées en interne par les entreprises elles-mêmes (centres de R&D, quartiers généraux, réseaux logistique centres d’appel, etc.), le total représente près de la moitié des emplois créés par les firmes US sur le continent : un pourcentage bien supérieur à celui des multinationales européennes elles-mêmes. Et les secteurs des biotechs, des NTIC, des médicaments sont également sur-représentés dans les investissements nord-américains.
Quant au manufacturier traditionnel, les multinationales US participent bien sûr au mouvement de délocalisation vers les pays de l’est. Mais pas sur la même échelle, par exemple que l’automobile allemande. Pour produire à bas coûts, les firmes américaines peuvent en effet naturellement recourir à l’Asie ou au Mexique. Lorsqu’elles choisissent de produire en Europe, c’est davantage dans le but d’accéder à des ressources de qualité ou de s’implanter à proximité du marché final, critères plutôt favorables aux pays d’Europe de l’ouest. Les firmes allemandes, par contre, ont crucialement besoin de tirer parti des bas coûts de production de leurs voisins d’Europe de l’est pour doper la compétitivité-prix de leur produit.
Conclusion : le lien transatlantique, construit par les statégies d’internationalisation des entreprises, reste, de très loin, l’axe le plus puissant de la globalisation. Et la présence des firmes US en l’Europe de l’ouest y représente un facteur très positif pour l’activité et l’emploi. Y compris en France, où les 2500 firmes américaines implantées représentent, avec leurs 450 000 salariés, plus de 5 % de la production des entreprises. Alors, ne jettons pas le manche après la cognée et sachons reconnaître nos vrais partenaires, et, plus simplement, nos vrais amis….
Fabrice Hatem
Pour une étude plus complète sur les investissements en Europe par région d’origine, cliquez sur le lien suivant : /2006/06/09/les-investissements-etrangers-en-europe-par-region-et-pays-d-origine-2002-2005-juin-2006/
Pour des analyses plus complètes sur le thème de l’investissement international en Europe : /2006/07/13/rapport-sur-l-investissement-international-en-europe-2002-2005-edition-2006/