Editeur : Le nouvel économiste, n°1277, 29 octobre 2004
Auteur : Fabrice Hatem
Urgence, textile-confection
Dans 60 jours, les quotas qui jusqu’ici protégeaient les marchés européens de la confection des importations asiatiques seront, abolis. Les conséquences ? On peut les imaginer en voyant ce qu’il est advenu pour les 11 catégories de produits, comme les parkas, les gants ou les accessoires de vêtements pour bébés, où le démantèlement des quotas est déjà effectif depuis l’adhésion de la Chine à l’OMC en 2002. En seulement 2 ans, on y a effet assisté à une véritable invasion de produits chinois – dont la part dans les importations européennes est passée de 13 % à 45 % – et par un effondrement des prix. Une bonne nouvelle pour le consommateur, peut- être, mais aussi la chronique d’une mort annoncée pour l’industrie euro-méditerranéenne de la confection.
L’histoire est connue : la filière textile-confection a été, plus tôt et plus violemment que d’autres industries occidentales, exposée à la concurrence des pays en développement. Dès les années 1960, toute une série de mesures particulières de protection – mais aussi des systèmes de préférence permettant à certains pays en développement d’échapper à celles-ci – furent mis en place : quotas, protection tarifaires, mesures de sauvegarde… ce n’est qu’à l’occasion des accords de Marrakech, en 1995, que fut décidée l’abolition à terme de ces régimes particuliers et l’alignement sur le régime général de l’OMC. En clair, le libre-échange à partir du 1er janvier 2005.
Ou plutôt l’ouverture sans contreparties suffisantes du marché européen. Car toutes sortes d’obstacles aux échanges subsistent dans les pays concurrents : maintien de pics tarifaires élevés aux Etats-Unis ou en Inde ; respect non garanti de la propriété intellectuelle dans beaucoup de pays en développement ; obstacles non tarifaires de toutes natures venant compliquer un peu partout l’accès aux marchés, depuis les petites tracasseries douanières jusqu’aux lourdes procédures de certification. Ajoutons à cela des salaires cinquante fois inférieurs en Chine à ceux de la France, et le contraste entre un droit du travail d’une complexité décourageante chez nous, et qui se résume au droit du plus fort là-bas. On voit mal alors comment ce qui reste de notre industrie de la confection – mais aussi celle de nos fournisseurs du Maghreb et des pays de l’est directement exposés à la concurrence chinoise et indienne – pourra résister au choc qui s’annonce.
Mais pourquoi donc avoir accepté d’ouvrir totalement, sans obtenir les contreparties pourtant prévues par l’accord de Marrakech, notre marché intérieur aux importations asiatiques ? Pourquoi l’industrie européenne – et ses salariés promis au chômage – devraient-ils accepter, unilatéralement, un démantèlement des protections alors que les autres continuent en fait à protéger leurs marchés et à piétiner les droits de propriété intellectuelle de nos entreprises ? A ce degré zéro de notre capacité à faire respecter nos intérêts les plus élémentaires, on n’en n’est plus à un débat entre protectionnisme et libre-échangisme, mais entre bon sens et aveuglement suicidaire.
Les industriels du GAFT (alliance mondiale pour un commerce équitable dans le textile-habillement), réunis à Istanbul en mars 2004, avaient demandé solennellement que soit repoussé de deux ans le démantèlement de l’AMF. C’est paraît-il, chose impossible pour des raisons juridiques impérieuses (comme s’il y avait quelque chose de plus impérieux que de sauver notre industrie d’un désastre imminent !!!!). Nos amis bruxellois multiplient actuellement les déclarations rassurantes sur les possibilités qui subsistent de prendre des mesures de sauvegarde si les choses tournaient trop mal (encore faudrait-il pour cela disposer des indicateurs avancés pour s’en rendre compte à temps, ce qui apparemment n’est pas encore le cas) ; sur de séduisants programmes d’aide à l’innovation (aux budgets en fait assez restreints) ; ou encore sur un renforcement de la coopération euro-méditerranéenne dans la filière confection. Mais les récentes déclarations ministérielles de Tunis ou de Caserte, intéressantes sur le fond, sont-elles adaptées à l’urgence de l’enjeu ? Seul point positif, très limité : l’évolution prévue des règles d’origine et de cumul facilitant les opérations de sous-traitance internes à la région
Mais pour sauver notre filière textile-confection d’un désastre auto-planifié, il faut aller beaucoup plus loin : mettre d’urgence en place un tarif protecteur commun aux frontières de la zone euro-méditerranée ; exiger haut et fort la réciprocité promise par nos partenaires et jamais appliquée. Et bien sur alléger, d’une manière ou d’une autre, la charge fiscale et sociale qui plombe la compétitivité du travail européen. Sous peine d’être, très vite, éliminés du jeu.
Pour une étude plus complète sur la filière textile-confection dans la région euro-Méditerranéenne : /2004/12/09/la-filiere-textile-confection-dans-la-region-euro-mediterraneenne/