Editeur : Le nouvel économiste, n°1271, 17 septembre 2004
Auteur : Fabrice Hatem
L’Irlande, pays de la biotech
A l’automne 2004, entrera en service le plus grand site de fabrication de biomédicaments du monde, sur le campus de Grange Castle, dans la banlieue de Dublin. Cette filiale de l’américain Wyeth devrait employer à terme 1300 personnes. Les produits ? Des médicaments contre la polyarthrite rhumatoïde et des vaccins anti-pneumoccoques destinés aux très jeunes enfants. Cet investissement de 1,5 milliards de dollars fera de l’Irlande l’un des leaders de la production biotech en Europe.
Décidément, cette petite île n’arrête pas de nous surprendre par son dynamisme et son sens des opportunités industrielles. Les irlandais furent parmi les premiers à comprendre, dans les années 1950, alors que leur industrie était pratiquement inexistante, tout le bénéfice qu’ils pourraient tirer de l’implantation de firmes étrangères. Et ils le firent, s’efforçant d’attirer, dans les années 1960 des industries de main d‘œuvre américaines, tandis que la France refusait, d‘un superbe geste gaullien, les milliers d’emplois que Ford nous proposa de créer en Lorraine en 1969. Depuis, les Irlandais sont devenus, à travers leur fameuse agence de promotion, L’IDA (Industrial Development Agency), les spécialistes reconnus du « marketing territorial », s’efforçant en permanence de tirer le meilleur profit des tendances de l’investissement international. Et ça marche : après les industries de main d’œuvre comme l’automobile, l’Irlande a sut se reconvertir dans les technologies de l’information à mesure que ses coûts salariaux augmentaient. Elle a également saisi avant les autres la vague montante des projets en centres d’appel et de services partagés. Et aujourd’hui, c’est au tour des biotechnologies….
Car, après beaucoup d’espoirs régulièrement déçus et d’innovations toujours annoncées comme imminentes et toujours repoussées, la révolution de la biopharmacie, cette fois semble vraiment entamée. Aujourd’hui, 20 % des médicaments commercialisés et 80 % des médicaments en développement clinique sont issus des biotechnologies, avec des taux de réussite aux tests cliniques désormais supérieurs à celui des médicaments classiques.
Et justement, l’Irlande offre un terrain d’accueil favorable. 80 multinationales pharmaceutiques et de biotechnologies sont déjà présentes en Irlande, parmi lesquelles Abbott, Bristol-Myers-Squibb, GlaxoSlmithkline, Johnson and Johnson, Lilly, Novartis, Merck, Pfizer, Roche, Schering Plough, Takeda, Allergan, Baxter, Genzyme, Fort Dodge et bien sûr Wyeth. Le secteur réalise dans ce secteur près de 35 milliards d’euros d’exportations, emploie 20000 personnes, et produit 12 des 25 médicaments leaders en biopharmacie (dont Lipitor, Zocor, Zyprexa, Seroxat, Prevacid, Zoloft, etc.). L’Irlande maîtrise les principaux éléments de la « chaîne de valeur »: recherche, fermentation, principes actifs, formulation, finition, services transversaux, propriété intellectuelle, procédés de développement. Les collaborations entre firmes privés et les universités irlandaises sont nombreuses et étroites, assurant des financements abondants à la recherche. Enfin, les pouvoirs publics se sont mobilisés pour assurer le développement du secteur des biotechs : effort de formation, octroi de régimes fiscaux favorables aux investisseurs, création d’un centre national de biotraitement….
Pour saisir le virage des biotechs, qui sera forcément international, notre pays dispose, a priori, de plus d’atouts que l’Irlande : plus de chercheurs, d’entreprises, de salariés, d’exportations ; de magnifiques pôles de compétitivité comme le génopole d’Evry ou la filière vaccinologie dans la région lyonnaise. Ceci explique que nous attirions un nombre significatif de projets étrangers, avec, bon an mal an, 500 à 1000 emplois créés chaque année depuis 1998. Mais il existe également des handicaps trop connus[1] : un effort global de recherche inférieur à celui des pays d’Europe du nord ; les lourdeurs de fonctionnement des établissements publics scientifiques et techniques ; les difficultés de financement des jeunes entreprises de biotechnologies ; l’insuffisance de la culture du partenariat privé/public ; l’effort insuffisant de valorisation industrielle des résultats la recherche publique. Malgré tous ses atouts, la France n’a donc pas encore mis suffisamment en valeur son potentiel en biotechnologies. Alors, essayons, cette fois, de ne pas manquer le coche par manque de lucidité. A cet égard, les énergumènes obscurantistes du type Mamère-Bové, en effrayant les investisseurs avec leur terrorisme « soft », risquent de nous faire plus de mal encore que les protectionnistes à courte vue, qui, dans les années 1960, avaient poussé Ford dans les bras justement .. des belges et des irlandais.
Pour des analyses plus complètes sur le thème de l’investissement international en Europe : /2006/07/13/rapport-sur-l-investissement-international-en-europe-2002-2005-edition-2006/
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[1] Voir Pierre Kopp, « Panorama 2003 des biotechnologies en France », France-Biotech