Editeur : Le Nouvel économiste, n°1273, 1er octobre 2004
Auteur : Fabrice Hatem
Les étrangers dopent l’immobilier de bureau hexagonal
Les investisseurs étrangers occupent aujourd’hui une place dominante sur le marché français de l’immobilier d’entreprise : 70 % des acquisitions en 2003, pour un montant de 6,7 milliards d’euros, selon CBRE-Richard-Elis-Bourdais. Et, en 2004, le flux des opérations a encore grossi, atteignant 5 milliards d’euros pour les 8 premiers mois de l’année. Quelques exemples : l’achat de plus de 100000 m2 de bureaux au total, dans l’ouest parisien et à la Défense, à travers trois opérations séparées, par les allemands Kan Am, Difa et Westinvest ; de 60000 m2 dans plusieurs sites de la région parisienne par la Quatar Islamic Bank ; de 45000 m2 à Velizy par l’anglais Standard Life. Pour pouvoir développer leurs opérations dans notre pays, de nombreuses sociétés étrangères y ont même implanté des filiales immobilières, soit directement, soit par l’achat d’opérateurs français. L’américain GE Real Estate a par exemple pris le contrôle, en février dernier, de la foncière Sophia.
Cette arrivée est récente. Avant 1996, en effet, les investisseurs étrangers n’étaient que des acteurs modestes sur le marché immobilier français, avec 1 milliards d’euros d’acquisitions en moyenne sur la période 1990-1995 selon la Banque de France. Puis, le flux s’est rapidement accru, pour atteindre 9 milliards d’euros en 2003 (tous types d’actifs confondus). Principaux investisseurs : les Allemands, les Anglais et les Suisses, qui à eux seuls représentent 57 % du total de la capitalisation à la fin 2002 selon la Banque de France. Les raisons de cet afflux ? la montée de l’épargne à long terme disponible dans le monde, notamment pour financer les retraites ; les rendements plus stables et plus élevés de l’immobilier par rapport aux placements boursiers ; enfin, un marché français attractif du fait des bons potentiels de valorisation locative et de plus-values.
Cet engouement constitue plutôt une bonne chose, pour au moins trois raisons. Tout d’abord, l’afflux des fonds d’investissement, des foncières et des sociétés d’assurances étrangères au cours des 10 dernières années a constitué le principal moteur de la reprise du marché français de l’immobilier entreprise, qui était sinistré au milieu des années 1990. Ensuite, il manifeste la confiance des opérateurs étrangers dans le dynamisme futur de nos métropoles : essentiellement la région parisienne bien sûr (qui représente toujours plus de 80 % du marché français de l’immobilier de bureaux) ; mais aussi, et de plus en plus, nos autres grandes villes, comme Lyon ou Marseille, où le flux des investissements étrangers s’accroît progressivement. Enfin, au niveau macroéconomique, les bons résultats récents de notre pays pour l’accueil des investissements directs (IDE) – deuxième pays d’accueil dans le monde après la Chine en 2003 – s’expliquent en partie par l’immobilier, qui représente presque le quart des 41 milliards d’IDE reçus l’an dernier.
Mais faut-il craindre une pression sur les prix, ou encore une forme d’expropriation rampante du notre patrimoine national ? Sur le premier points, les experts, comme Christian de Kerangall, de CBRE, sont plutôt rassurants : localement, c’est vrai, certaines pressions à la hausse sont plus ou moins directement imputables au acheteurs étrangers. Par exemple, l’ouverture des marchés immobiliers de villes comme Marseille, favorisé par le désenclavement lié au TGV, s’est traduit par l’afflux d’investisseurs exogènes qui a contribué à une forte hausse des prix. A Paris, l’intérêt des investisseurs étrangers – allemands notamment- pour les meilleurs actifs du « Triangle d’or » a eu les mêmes conséquences.
Mais les experts notent à l’inverse que les prix du marché de l’immobilier d’entreprise – sur lequel les acheteurs étrangers sont les plus actifs – se sont plutôt stabilisés en moyenne depuis 18 mois. Ce sont les prix de l’immobilier d’habitation qui ont connu la plus forte hausse, pour des raisons essentiellement internes, comme l’inadaptation de l’offre à une demande croissante de petits logements individuels. Or les acheteurs étrangers sont relativement peu présent sur ce marché, à l’exception d’une demande privée de produits hauts de gamme et de résidences secondaires typiques qui a fait monter les prix ardéchois ou quercinois : un phénomène relativement secondaire sur le plan macroéconomique même s’il est porteur d’une forte charge symbolique et affective.
Quant à l’expropriation tant redoutée, on en est encore loin. Certes, les stocks d’IDE immobiliers contrôles par l’étranger ont été multipliés par 5 en 15, passant de 9 à 45 milliards d’euros. Mais ce chiffre ne représente encore que peu de choses par rapport à la totalité du patrimoine immobilier français ; nettement moins de 20 % du total pour l’immobilier de bureaux – le plus internationalisé – et encore moins pour les autres catégories d’actifs.
Cependant, le marché français de l’immobilier d’entreprise est désormais complètement internationalisé, et donc régi par les arbitrages des opérateurs entre grandes métropoles européennes. D’où une fluidité des investissements internationaux qui a également un revers : le risque d’effets de migration éventuellement brutaux lorsque les investisseurs décideront de réorienter leurs actifs vers des villes concurrentes comme Londres, où le marché immobilier repart aujourd’hui après deux années de crise. Avec en conséquence des effets dépressifs potentiellement importants, non seulement sur le seul marché immobilier, mais sur l’ensemble de la notre balance des paiements. Décidément, rien n’est jamais acquis dans ce monde mouvant.
Pour une étude plus complète sur l’investissement étranger dans l’immobilier de bureau en France : /2004/12/21/les-investissements-etrangers-dans-l-immobilier-d-entreprise-en-france-2004/