Editeur : Le Nouvel économiste, n°1267, 9 juillet 2004
Auteur : Fabrice Hatem
L’Inde : un nouveau « grand » de l’investissement international
On savait déjà que la Chine était devenu le premier pays d’accueil des investissements internationaux. Mais on pensait que l’Inde se traînait loin derrière. Erreur ! Selon les derniers résultats trimestriels de la base de données Gild de IBM/PLI, l’Inde talonne désormais la Chine aussi bien pour le nombre de projets d’investissements que pour celui des emplois créés.
En avril 2004, selon la base de données GILD de IBM/PLI, l’Inde s’est hissée au 3ème rang mondial des pays d’accueil des investissements en termes de nombre de projets, derrière la Chine et les Etats-Unis. Parmi les 10 premières régions d’accueil dans le monde, on note trois indiennes : le Karnataka, le Maharastra et le Tamil Nadu. L’Inde se serait également glissée, selon la même source, au 5ème rang des investisseurs mondiaux. En particulier l’Inde apparaît comme le premier pays d’accueil dans le monde pour le nombre d’emplois créés dans les activités de CSP et de contact centers. Mentionnons par exemple de gros investissements de Tata Teleservices (4000 emplois d’un coup) de Source Results Corporation (500) et de Satyam Computer services (350). Mais l’Inde est également le premier pays au monde pour les emplois crées en centres de RD, notamment les softwares, avec 43 projets. Citons par exemple Patni Computer systems (5000 emplois), Wipro technologies (5000), First Consulting group (2600) Zenzar Technologies (2000), Birlasoft (850 emplois).
Selon la même source, l’Inde est passé au 1er trimestre 2004 au troisième rang mondial en termes de nombre de projets accueillis et au premier rang en termes d’emplois créés, à quasi-égalité avec la Chine. Les sociétés indiennes occupent également le 2ème rang en termes de création d‘emplois. Cependant, l’Inde reste assez peu mentionnée (12 % des réponses dans le baromètre EY de l’attractivité.
Mais si la Chine a fondé son attractivité sur les activités manufacturières, Le décollage indien semble particulièrement marqué dans les activités tertiaires. Selon une récente étude d’IBM/PLI, un grand nombre d’investisseurs considèrent l‘Inde comme une destination « offshore » privilégiée pour les centres de services, devant les Philippines, la Malaisie, l’Afrique du Sud. Les atouts : une main d’œuvre à bas coûts, parlant l’anglais, de bon niveau d’éducation notamment dans les technologies de l’information. Mais ces atouts semblent surtout déterminants, pour l’instant, pour l’accueil des activités à bas niveau de qualification, appelées dans le jargon « Transactional Based ». De plus, les délocalisation lointaines posent différents problèmes, notamment ceux liés aux différences de fuseaux horaires. La Chine apparaît également comme un concurrent émergent, bien qu’handicapée par la fiable pratique des langues étrangères. On peut également mentionner l’Amérique latine pour le monde hispanophone, ainsi que le Vietnan, l’Afrique et le Magrheb pour le monde francophone. Parmi les grands opérateurs déjà implantés, on peut citer Goldman Sachs, Hewlett Packard, IBM BTO, Oracle…
Ce mouvement constitue le début d’une extraordinaire mutation liée à deux causes convergentes. D’une part, l’évolution des techniques de communication, qui rend possible la délocalisation, éventuellement sur longue distance, de fonctions d’appui tertiaire qui autrefois devaient être situées à proximité immédiate des lieux de production et/ou de consommation des produits. Les entreprises ont tiré parti de ces possibilités en mutualisant un certain nombre de fonctions qui autrefois étaient éparpillées sur les différents sites de production, comme par exemple, la maintenance informatique, la gestion logistique, la comptabilité. C’est ce que l’on appelle les « centres de services partagés » dans le jargon des gestionnaires. Les centres d’appels, destinés à prendre un contact direct avec le client externe ou le bénéficiaire interne du service à distance, ont constitué en quelque sorte la « première vague » de ces CSP. Ils ont ensuite été suivis par les centres de gestion, de logistique, de technologies de l’information.
Mais pourquoi l’Inde ? Ce activité demandent une main d’œuvre qualifiée, bien formée, parlant les langues étrangères et notamment l’anglais. Les indiens répondent à ces critères, davantage par exemple que les chinois moins à l’aise dans le maniement des langue étrangères. Bengalore est ainsi devenu un concurrent international majeur pour la localisation de ce type de fonctions, d’autant qu’il ne souffre pas de handicaps majeurs pour l’accès aux réseaux de télécommunication internationaux.
Mais on s’est rapidement aperçu que les indiens pouvaient offrir autre chose que des heures de travail bon marché. Il s’ait d’esprits très conceptuels, habitués à la manipulation de raisonnements très abstraits, bref potentiellement d’excellents chercheurs, notamment dans le disciplines liées à la logique pure : mathématiques, informatique…Dès les années 1990, on commençait à parler dans la Silicon Valley américaine d’exemples, encore marginaux, de délocalisation de centres de conception de softwares vers l’Inde. Aujourd’hui, le petit filet a pris les dimensions d’un fleuve puissant, amenant la création de centres de RD en logiciels regroupant parfois des milliers de chercheurs et d’analystes.
Bangalore, dans l’Etat de Karnataka avec ses 6 millions d’habitants, mérite son surnom de « silicon Valley de l’Inde. Elle accueille de très nombreuses sociétés spécialisées dans les technologies de l’information, les centres d’appel et les CSP. Sa population , anglophone à 70 %, offre de très grosses ressources en personnels qualifiés, pour des salaires variant entre 10 % et 20 % de ceux des Etats-Unis. L’agglomération accueille de nombreux instituts de formation et de recherche, comme l’Indian Institute of Science, l’Indian Institute of Management, l’Indian Space Research Organisation, le Natinoal Center for Software Technologies, le Centre for Artificial Intelligence and Robotics, le National Center for Software Technologies, le National Law Scholl of India, le National Insitute of Fashion Technology, l’Indian Institute of Information Technology…
On peut s’en féliciter pour l’Inde : mais il faut aussi prendre malheureusement conscience des dangers redoutables qu’un tel mouvement fait peser sur les économies développées, l’Europe et la France. Il faut considérer avec prudence l’idée selon laquelle la création d’emplois dans les activités tertiaires et à haute valeur ajouté permettra à coup sur de compenser la délocalisation du manufacturier traditionnel. Avec la montée en puissance de pays aussi immenses que l’Inde pour la délocalisation de ces activités (du tertiaire « bas de gamme » à la recherche la plus pointue), cet espoir risque d’être battu en brèche. Il faut absolument prendre conscience de la menace.