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L’agro-alimentaire en Méditerranée : indispensable, possible

Editeur : Le nouvel économiste, n°XX, automne 2004

Auteur : Fabrice Hatem

L’agro-alimentaire en Méditerranée : indispensable, possible

nouvelecocom Faire des 12 pays du sud méditerranéen des exportateurs nets de produits agro-alimentaires d’ici 20 ans ? A priori, l’idée pourrait faire sourire les spécialistes. La situation actuelle, il est vrai, n‘est pas brillante : un déficit commercial un augmentation régulière, et qui a frôlé en 2003 les 10 milliards de dollars ; une dépendance particulièrement forte pour les corps gras et surtout les céréales, aliments de base des populations pauvres de ces régions ; des pays, comme l’Egypte ou l’Algérie, dont la dépendance alimentaire a depuis longtemps dépassé le seuil d’alerte….

Quant aux perspectives à long terme, elle sont plutôt inquiétantes, la poussée démographique augmentant les besoins tandis que l’environnement se dégrade (pénuries croissantes en eau, désertification terrestre et marine). Une impasse écologique et alimentaire clairement mise en lumière par les travaux du « Plan bleu pour la Méditerranée », un programme de l’ONU basé à Sophia Antipolis. Et dont les conséquences en terme d’instabilité sociale et politique pourraient être graves.

Assurer l’autonomie alimentaire de ces pays constitue donc un enjeu humain et politique majeur. Or, à l’analyse, les choses ne paraissent pas si désespérées. Tout d’abord, deux pays, la Turquie et la Maroc, sont d’ores et déjà exportateurs nets, contribuant largement au solde positif de la région dans trois segments : les fruits et légumes, les conserves végétales et les viandes et poissons. D’autres pays, globalement déficitaires, réalisent des excédents significatifs sur certains segments, comme Israël pour les fruits et légumes ou la Tunisie pour les produits animaux.

Quant au potentiel, il est tout sauf négligeable : 23 millions d’hectares de terres arables arrosés en Turquie ; un réel dynamisme de la filière agro-alimentaire au Maroc, qui représente à elle seule le tiers de la production industrielle et le cinquième des exportations du pays. Dans les autres pays, des opportunités plus limitées, mais réelles existent. Un exemple ? La production de fruits et légumes secs (asperges, dattes), de fleurs ou de plantes aromatiques en Jordanie, dont certains régions de l’ouest, une fois convenablement irriguées, offrent un réel potentiel agricole. Et la Tunisie n’était-elle pas autrefois surnommée le « grenier à blé » de l’empire Romain ?

Restent les handicaps, qui se nomment : sécheresse, productivité agricole basse, qualité inégale de l’outil de production industriel, produits non normalisés, faiblesse de la chaîne logistique et de l’industrie de l’emballage, atomisation de l’offre, pénurie de moyens de financement. Pour affronter ces enjeux, une politique de mise à niveau et de promotion des petits producteurs peut jouer un rôle d’appoint en valorisant les produits traditionnels pour lesquels il existe une demande sur les marchés du nord : production artisanale d’huile d’olive, de fromage, culture biologique… Mais elle ne suffira pas. Seules des grandes firmes multinationales disposent en effet aujourd’hui des moyens financiers techniques et industriels à la hauteur de l’enjeu : nourrir 320 millions de personnes dans 20 an. Il faut donc chercher à les attirer.

Sur ce plan, les résultats sont pour l’instant limités : les 100 premières multinationales alimentaires n’ont aujourd’hui que 160 filiales dans les pays du sud de la Méditerranée, contre plus de 2000 en Europe de l’ouest et 400 en Europe de l’est : des chiffres modestes, qui, de plus, ont progressé au cours des dernières années plus lentement qu’en Asie ou dans les PECOs.

Mais le dossier n’et pas indéfendable, comme le montrent les travaux réalisés par Imen Mkhinini, Sandra Cohen et Marjorie Senez, de l’équipe de recherche Anima/Université Dauphine : la taille du marché, les spécificités des régimes alimentaires locaux constituent en particulier de puissantes incitations à des localisation sur place. Des firmes comme Sara Lee, Unilever, Pepsico, Procter and Gamble, Nestlé, ont déjà développé des stratégies actives dans la zone. Les programmes de privatisation en cours (Régie marocaine des tabacs, Brasseries du Maroc), la libéralisation des règles de l’investissement, en particulier pour l’acquisition de terres arables (Maroc, Turquie), peuvent allécher les firmes étrangères, qui sont déjà très présentes au Maroc, en Turquie et en Israël. Dernier venu : le fromager Bel, qui ouvrira au printemps 2005 une usine de fromages fondus en Syrie.

Mais c’est là une politique sur le fil du rasoir : soit on n’en fait pas assez, comme en Egypte ou en Algérie, et on retarde la modernisation avec un risque de graves déséquilibres quantitatifs à moyen terme ; soit on en fait trop, avec les habituelles conséquences de ruine des petits exploitants et d’exode rural, d’instabilité sociale, de saccage culturel voire écologique. Un dilemme qui n’aura sans doute pas de solution totalement satisfaisante, mais qu’il faudra trancher rapidement.

Pour une étude complète sur l’agro-alimentaire en Méditerrannée :
/2005/12/07/le-secteur-agro-alimentaire-dans-la-region-euro-mediterraneenne/

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